VILLEGAGNON Nicolas DURAND de

° Provins (77), ca. 1510 ; † Commanderie de Beauvais-en-Gâtinais, 9 I 1571.

- Fils d'un procureur du roi à Provins (77).

- Armes familiales : d'argent à trois chevrons de gueule, accompagnés de trois épées d'or, deux en chef et une en pointe, le tout surmonté d'un heaume ou d'un casque de chevalier terminé par une tête de licorne.

- Il est d'abord élève à Paris aux collèges de La Marche et de Montaigu, avec Jean Chauvin (futur Calvin), puis fait des études de droit à Orléans avec ses frères Philippe et Tristan Durand de Villegagnon.

- De grande taille et fort musclé, il finit par abandonner le droit pour devenir chevalier de Malte en 1531, étanchant ainsi sa soif d'aventure au-delà des mers. Il prend part en octobre et novembre 1541 à l'expédition de Charles Quint contre Alger puis en fait le compte rendu. Sous les ordres de François d'Aumale (futur duc de Guise), il commande la flotte française qui en juin 1548, en plein conflit avec l'Angleterre, va chercher Marie Stuart en Ecosse pour la mener en France au mois d'août suivant. En 1551, depuis l'île de Malte, il tente en vain de défendre Tripoli contre les Turcs de Soliman le Magnifique.

- Il se rend ensuite au Brésil, qu'il trouve « fort beau et bien peuplé d'hommes et de femmes vivant sans Dieu, sans foi, sans loi » [Claude Haton]. De retour en France, émerveillé par ses découvertes, il convainc le roi Henri II de briser le monopole que les Portugais ont acquis sur le Brésil en 1494 par le traité de Tordesillas, et de financer une implantation française dans cet immense pays encore vierge d'Amérique du Sud. Le 26 III 1555 [n.s.], il reçoit donc du roi la coquette somme de 10.000 livres. Nommé vice-amiral de Bretagne, sous le commandement suprême de l'amiral de Coligny*, il quitte alors le port du Havre le 12 VII 1555, à la tête de trois vaisseaux transportant 600 hommes, recrutés surtout parmi les gibiers de potence de Paris et de Rouen. Après une courte escale de trois jours au Cap Frio, où il est accueilli par un chef amérindien se nommant Pindo, il accoste le 10 XI 1555 dans la baie de Rio de Janeiro (alias rivière de Ganabara). Il y fonde le fort Coligny sur une île qui prendra plus tard le nom de l'Île-aux-Français puis de Villegagnon. Très vite, il se lie d'amitié avec les tribus autochtones des Topinambous et des Margageats, lesquels voient en lui un rempart contre les Portugais voulant les réduire en esclavage. Il amadoue par divers cadeaux Quoniambec, chef des Margageats, et l'amène à accepter la traduction dans sa langue de textes chrétiens et à permettre à ses sujets de se faire baptiser. Rêvant de devenir le vice-roi d'une colonie française qui porterait le nom de France antarctique, il charge bientôt son jeune neveu le sieur Legendre de Boissy, seigneur de Bois-le-Comte et fils d'un procureur de Provins, d'aller demander au roi Henri II de nouveaux subsides et encore plus d'hommes. Le 16 II 1556 [n.s.], deux jours à peine après le départ de son neveu, il déjoue un complot tramé contre lui par plusieurs colons libidineux s'élevant contre l'interdiction de copuler avec des filles indigènes. Il finit par rétablir l'ordre grâce à une poignée de fidèles soldats. Le 7 III 1557 [n.s.], il a la joie d'accueillir au fort Coligny le seigneur de Bois-le-Comte, son neveu, qui a quitté le port de Honfleur le 9 XI 1556 avec trois navires et 290 nouveaux colons, dont six enfants destinés à apprendre la langue des autochtones et cinq jeunes filles en âge d'être mariées et de procréer, surveillées par une gouvernante. Toutefois, sa joie est de courte durée car il découvre vite que la plupart des nouveaux venus sont des protestants recrutés par l'amiral de Coligny, menés par deux pasteurs envoyés de Genève par Calvin. Il se heurte rapidement à Philippe de Corguilleray**, dit le sieur du Pont, seigneur de Sommecaise (89), qui conteste son autorité et prend la tête des huguenots contre les catholiques français du fort Coligny. Il voit son adversaire quitter le fort et s'installer sur la terre ferme avec une partie des colons protestants, parmi les indigènes Topinambous. Le 4 VI 1557, il laisse l'un des deux pasteurs rentrer en France, lui confiant dix jeunes Amérindiens faits prisonniers par une tribu locale, qu'il a achetés au chef de celle-ci pour les soustraire à la mort et les envoyer au roi Henri II. Souhaitant étendre sa colonie et trouver de l'or ou de l'argent pour convaincre le roi de lui octroyer plus de moyens, il charge son neveu de voguer vers le sud en quête d'un Eldorado, mais le jeune capitaine de vaisseau revient bredouille. Un mois après le départ pour la France de Philippe de Corguilleray, qui a quitté le Brésil le 4 I 1558 [n.s.], il fait exécuter trois des hommes de celui-ci, accusés d'avoir voulu le tuer avec la complicité des Portugais. Pour justifier son geste, il écrit une longue lettre à Jean Calvin, son ancien camarade de classe, ceci le 31 III 1558 [n.s.]. Mais il ne parvient pas à mettre fin aux rumeurs propagées en France par Philippe de Corguilleray et les huguenots rentrés du Brésil, qui le soupçonnent tous de vouloir devenir roi d'Amérique et de fonder sa propre dynastie. Il est obligé, pour se défendre, de confier la colonie à son neveu et de rentrer lui aussi en France, emmenant avec lui une cinquantaine d'hommes et de femmes indigènes, destinés à entrer au service du roi, des princes du sang et de son frère aîné Philippe Durand de Villegagnon, devenu bailli de Provins.

- Arrivé à Brest à l'automne de 1559, il apprend le décès d'Henri II le 10 juillet précédent. Il est reçu au château de Saint-Germain-en-Laye par François II, le nouveau roi, et par la reine Marie Stuart, qui l'accueillent fraîchement et devant lesquels il doit répondre aux accusations portées contre lui : celles d'être athée et de se comporter en tyran envers les colons français du Brésil, réservant ses égards aux seuls « sauvages ». Il obtient cependant le soutien du duc de Guise et tente de convaincre la reine Catherine de Médicis de lui donner jusqu'à sept navires de guerre pour retourner au Brésil et consolider la France d'Antarctique face à la menace portugaise. Ses récits impressionnent le poète Ronsard, qui publie en 1560 les vers suivants :

 

                         Je veux aucune fois abandonner ce monde

                         Et hasarder ma vie aux fortunes de l'onde

                         Pour arriver au bord auquel Villegagnon

                         Sous le pôle Antarctique a semé votre nom.

 

- Mais tous les espoirs du vice-amiral de Bretagne sont bientôt anéantis. Ayant appris qu'une flotte portugaise a fini par s'emparer du fort Coligny le 15 III 1560 [n.s.], il doit renoncer à ses projets coloniaux, bien que son neveu résiste toujours dans un fortin construit sur la terre ferme de la baie de Rio, protégé par ses alliés amérindiens (son neveu ne sera chassé du Brésil que le 18 I 1566).

- Retenu en France par la force des choses, il prend part à la guerre civile opposant catholiques et protestants qui se déclenche à la suite du massacre commis à Wassy par le duc de Guise (1er III 1562 [n.s.]). Pendant le siège de la ville de Rouen défendue par les protestants, tandis qu'il combat dans l'armée catholique dirigée par Catherine de Médicis et qu'il visite les tranchées au côté d'Antoine de Bourbon, roi de Navarre, il est soudainement blessé à une jambe le 16 X 1562 par un tir de fauconneau, qui atteint aussi ledit roi alors que celui-ci soulageait sa vessie. Plus chanceux que ce dernier, qui mourra de ses blessures dès le lendemain, le vice-amiral de Bretagne survivra au coup mais restera boiteux jusqu'à la fin de ses jours.

- En 1567, il est nommé gouverneur de Sens. Il va visiter Joigny et les localités alentour pour les mettre en état de défense, mais déplore que les Joviniens soient tous rudes, brutaux et indisciplinés. Il prend des mesures énergiques, faisant raser à l'extérieur des murs d'enceinte de Sens les maisons et les églises dans les faubourgs de Saint-Didier, Saint-Antoine et de Notre-Dame, mais aussi l'abbaye de Saint-Jean et le prieuré de Saint-Sauveur, pour empêcher que les soldats huguenots ne puissent s'en servir. Quand ceux-ci tentent de s'emparer de la ville, il les accueille par des tirs nourris d'artillerie, leur tend un piège en laissant une poterne ouverte, par où ils s'engouffrent, puis les fait mitrailler à volonté. Il effectue alors plusieurs sorties, les obligeant à s'éloigner. Il ne peut les empêcher, cependant, de piller puis d'incendier l'église Saint-Savinien, ainsi que l'abbaye de Saint-Pierre-le-Vif dont ils emportent, outre deux précieux reliquaires, toutes les cloches de la grande tour et du petit campanile.

- En 1568, il représente l'ordre de Malte à la Cour.

= Il a publié un ouvrage sur la présence réelle du Christ lors du sacrement de l'autel.

  

Pierre Le Clercq

[La, LCB, Bouvier, Challe, J 151, EJ 54 (1997) 45, U 20 ; Mémoires de Claude Haton ; Historia n° 535 (juillet 1991)]