HISTOIRE DE LINDRY

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carte de Cassini - Lindry
carte de Cassini - Lindry

 

1) L’HISTOIRE GÉOLOGIQUE : LA PHASE DE SÉDIMENTATION

 

À Lindry comme ailleurs, le sol qui gît sous nos pas a une histoire. À la fin de l’ère secondaire, lors de la période géologique du crétacé, les Alpes et les Pyrénées n’existaient pas encore. Le Bassin parisien était entouré d’un chapelet de montagnes, composé des Ardennes, des Vosges, du Morvan, du Massif central et du Massif armoricain. Un fleuve géant, ancêtre de la Loire et de l’Allier, dévalait les pentes du Massif central pour se jeter dans une mer aujourd’hui disparue, la mer Crétacique, ceci quelque part à portée de la Puisaye, à l’ouest du Morvan. C’est l’action successive, parfois conjuguée, de ce large fleuve à très gros débit et de cette mer préhistorique recouvrant tout ou partie du Bassin parisien qui a engendré les cinq terrains différents que l’on peut voir, de nos jours, en surface à Lindry.

Dans un premier temps, c’est uniquement le fleuve qui a agi. Le territoire de Lindry était encore à l’air libre, dans la zone inondable du puissant cours d’eau. Au gré des crues, celui-ci a déversé sur toute la Puisaye, jusqu’à Lindry, des flots de boue et de fins débris rocheux, provenant de l’érosion du Massif central. Ces alluvions ont formé une couche épaisse de sables verts et d’argile noire, contenant des fossiles végétaux amenés par le fleuve. Ce premier temps géologique est appelé l’albien inférieur.

Dans un deuxième temps, la mer Crétacique a submergé tout le territoire de Lindry, qui s’est vu noyé dans une baie aux eaux peu profondes. Le grand fleuve préhistorique, toutefois, a continué d’agir sur toute la Puisaye, en déposant au fond de la mer de grosses quantités de petits grains de roche broyée, charriés depuis le Massif central. Toutes ces alluvions ont formé une épaisse couche de sables jaunes ou ferrugineux, abritant de nombreux fossiles de mollusques marins. Ce deuxième temps géologique de la période du crétacé est appelé l’albien moyen.

Dans un troisième temps, la mer Crétacique s’est retirée quelque peu. Le finage de Lindry s’est alors retrouvé sur la bande côtière, soumise à l’action des vagues qui brassaient le sable et l’argile apportés par le fleuve. Cette action du ressac, mélangeant les dépôts organiques marins aux alluvions fluviales, a produit une grosse couche de marnes, avec quelques traces de phosphates. Ce troisième temps de la période du crétacé porte le nom d’albien supérieur.

Dans un quatrième temps, la mer Crétacique a englouti la presque totalité du territoire de l’Yonne, ceci jusqu’au pied du Morvan. Cette fois, le finage de Lindry s’est trouvé enfoui sous 1000 mètres environ d’eau marine, hors de portée du gros fleuve préhistorique qui l’avait recouvert jusque là de sables et d’argiles. Sous la formidable pression de l’eau, dans les profondeurs abyssales de la mer, les dépôts organiques marins ont été écrasés et mêlés à la partie superficielle des marnes de l’albien supérieur, formant ainsi une couche de marnes crayeuses. Ce temps s’appelle le cénomanien inférieur.

Dans un cinquième et dernier temps, les dépôts organiques qui continuaient de s’accumuler au fin fond de la mer Crétacique, sur le finage de Lindry comme ailleurs, ont cessé de se mélanger aux marnes devenues trop profondes. Les fonds marins se sont alors recouverts peu à peu d’une épaisse couche de craie, renfermant les fossiles de tous les mollusques de l’époque. Ce cinquième et dernier temps de la période du crétacé s’appelle le cénomanien supérieur.

Pour finir, la mer s’est retirée à jamais du Bassin parisien. La mer Crétacique ayant disparu, le finage de Lindry s’est retrouvé à l’air libre dès le début de l’ère tertiaire. Une autre phase géologique a alors commencé. C’est ce que nous verrons dans le prochain numéro de Lindry-Communication

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 50 (mai 2005)

 

2) L’HISTOIRE GÉOLOGIQUE : LA PHASE D’ÉROSION

 

Au tout début de l’ère tertiaire, la mer Crétacique de l’ère secondaire ayant disparu à jamais, le finage de Lindry s’est retrouvé à l’air libre. Ce n’était alors qu’un immense plateau de craie recouvrant toutes les couches de marnes, d’argile et de sable superposées pendant la phase de sédimentation. Peu à peu, cependant, le finage a pris le relief que nous lui connaissons aujourd’hui, ceci par l’érosion lente mais régulière du plateau crayeux initial. C’est l’eau de pluie qui a façonné le paysage actuel de Lindry. Elle s’est infiltrée dans la craie, puis l’a rongée et dissoute sur presque tout le territoire, ne laissant en place que deux hauteurs situées à l’ouest et au sud-ouest du finage. Partout ailleurs, le sol a été creusé par la pluie et les ruisseaux, jusqu’aux couches de sable les plus anciennes.

Grâce à leur chapeau de craie perméable, les deux hauteurs de Lindry sont au cœur de tout le système hydrographique de la commune. Elles fonctionnent comme deux grosses éponges qui captent l’eau de pluie, qu’elles acheminent ensuite par voie souterraine jusqu’aux sources des ruisseaux environnants, à savoir : les rus de Remuen et de l’Enchâtre à l’est, ainsi que le Ravillon et le ru de Pré-Long au nord. Les trois premiers cours d’eau ont creusé leur lit jusqu’à la couche sédimentaire la plus ancienne, alors que le dernier coule encore sur une couche plus récente. Bien que de faible débit, ce sont ces quatre rus fort paisibles qui emportent au loin, peu à peu, les matières rocheuses arrachées par la pluie, issues des deux massifs crayeux de Lindry qui se désagrègent lentement.

De nos jours, la commune de Lindry repose sur cinq terrains différents, formés par sédimentation à la fin de l’ère secondaire puis, à partir de l’ère tertiaire, ramenés un à un à la surface par érosion :

- Le terrain le plus ancien remonte à l’albien inférieur. Il n’apparaît que dans deux endroits boisés : aux Grands Vernes, où coulent les rus de l’Enchâtre et de Remuen, et aux Vernes des Houches, où le Ravillon prend sa source. On y trouve des sables verts et de l’argile noire, avec des fossiles végétaux.

- Le deuxième terrain, abritant le ru de Pré-Long, date de l’albien moyen. Il prédomine largement à Lindry : autour de Chazelle, des Houches et du Marais, et dans la plupart des autres hameaux. On y trouve des sables jaunes et ferrugineux, ou sables de Puisaye, avec des fossiles de mollusques marins.

- Le troisième terrain s’est formé à l’albien supérieur. Il apparaît au pied des deux massifs crayeux de Lindry, notamment au bourg de la commune. Composé d’argile et de marnes, sa surface imperméable retient l’eau de pluie et alimente les sources, les rus et les puits, ainsi que les pâtures et les prairies.

- Le quatrième terrain date quant à lui du cénomanien inférieur. Il n’existe que sur les pentes des deux hauteurs de Lindry et, parmi tous les hameaux de la commune, seul le Fonteny y repose entièrement. On y trouve de la gaize et des marnes crayeuses, mélange de sédiments d’origine fluviale puis marine.

- Le terrain le plus récent remonte au cénomanien supérieur. C’est lui qui recouvre les deux massifs à l’ouest et au sud-ouest de Lindry, sur lesquels aucun hameau n’a été construit. Il se compose de craie compacte et d’argile à silex et contient de nombreux fossiles de mollusques marins.

Ainsi s’achève l’histoire géologique de Lindry, avec une phase de sédimentation fluviale puis marine à la fin de l’ère secondaire, suivie d’une phase d’érosion pluviale à partir de l’ère tertiaire. C’est sur un territoire lindrycois façonné par divers éléments naturels que l’être humain a fini par s’installer. Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, nous aborderons l’histoire du paysage rural de Lindry, avec son bourg et ses divers hameaux bâtis par la main de l’homme…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 51 (octobre 2005)

 

3) LES PREMIÈRES IMPLANTATIONS HUMAINES

 

Façonné par un fleuve préhistorique, une mer disparue puis par la pluie, le territoire de Lindry a fini par être modelé par l’être humain. Avant la conquête de la Gaule par les Romains, la région avait déjà une population assez dense. C’est ce que révèle, entre autres, le nombre élevé de toponymes d’origine celtique qui subsistent tout autour d’Auxerre. À Lindry, le nom de lieu le plus ancien est Nancré, qui désignait autrefois le hameau de La Métairie. La première syllabe de ce nom, que l’on retrouve dans le nom du hameau de Nantou à Pourrain, signifiait « vallée » dans la langue des Gaulois. Elle décrit tout à fait la position de La Métairie, située au pied du Thureau de La Borde. Le territoire de Lindry faisait donc déjà partie des terres explorées par les Gaulois et exploitées par eux. Il était placé sans doute sous la protection de la citadelle gauloise de Pourrain qui, bâtie sur un éperon rocheux, pouvait contrôler et défendre les vallées environnantes, dont Nantou et Nancré.

C’est après l’arrivée des Romains qu’a été créé le nom de Lindry. Sa terminaison en –y, très répandue en France, trahit en effet l’origine gallo-romaine du toponyme. Sa signification reste toutefois obscure. Sur la base de la forme la plus ancienne du nom, Linderiacum, remontant à l’an 820, trois étymologies différentes ont été proposées par divers auteurs :

- Selon Albert Dauzat, le nom de Lindry viendrait de Lindhariacum, qui désignerait le domaine d’un colon germanique nommé Lindharius, dont le propre nom pourrait signifier « guerrier au bouclier en bois de tilleul ». Au IIIe siècle, en effet, des Germains ont été installés en Gaule par les Romains, pour défendre et exploiter les campagnes en tant que soldats et paysans.

- Selon un certain L. Prot, en revanche, le nom de Lindry n’aurait aucun rapport avec le bois de tilleul, mais signifierait le domaine des « serfs attachés à la glèbe ».

- Selon Michel Raimbault, enfin, ce nom dériverait de Limitariacum, toponyme réservé à un domaine frontalier, jouxtant une autre contrée. Cette hypothèse repose sur le fait que, sous l’Ancien Régime, le finage de Lindry se trouvait à la limite du diocèse d’Auxerre, jouxtant celui de Sens.

Quelle que soit l’étymologie véritable, il est certain que l’histoire de Lindry, avant l’an 820, a été liée de près à celle de Pourrain. Au début du Ve siècle, ces deux localités contiguës appartenaient à saint Germain, qui les a léguées à sa mort en 448 à l’Église d’Auxerre. En 549, au 4e concile d’Orléans, les prélats réunis ont décidé de créer dans chaque diocèse des paroisses, placées sous la tutelle d’un curé. Le territoire de Lindry a été intégré à la paroisse de Pourrain, mentionnée pour la première fois en 578. Cette année-là, en effet, l’évêque auxerrois saint Aunaire a demandé à chacune des 37 paroisses de son diocèse de participer, à tour de rôle, à un cycle de prières permanentes, chaque année en janvier. Les ouailles de la paroisse de Pourrain, dont les habitants de Lindry, devaient prier le 29e jour du mois.

C’est en 820 que le territoire de Lindry a été détaché de Pourrain. L’évêque d’Auxerre Angelhelme a pris cette décision, avec la permission de l’empereur Louis le Débonnaire, pour nourrir ses chanoines. Pour ce faire, il leur a donné toutes les terres de la paroisse de Pourrain, sauf celles de quatre localités, à savoir Nancré, Lindry, Alpin et Riot. En regroupant ces quatre lieux détachés de Pourrain, maintenus sous l’autorité directe de l’évêque d’Auxerre, la paroisse de Lindry a pu alors être fondée, placée sous la protection de sainte Geneviève dont le culte se développait au IXe siècle. L’histoire de cette toute nouvelle paroisse sera abordée dans le prochain numéro de Lindry-Communication

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 52 (décembre 2005)

 

charte datant de 820
charte datant de 820

4) LE DÉVELOPPEMENT DE LA PAROISSE

 

Le 12 novembre 820, à Aix-la-Chapelle, l’empereur Louis le Débonnaire a signé une charte permettant à l’évêque d’Auxerre de donner à ses chanoines la paroisse de Pourrain, mais d’en soustraire Nancré, Lindry, Alpin et Riot. Ce document est l’acte de naissance de la paroisse de Lindry, qui deviendra plus tard commune. Les quatre localités ainsi réunies, toutes situées à l’ouest du territoire actuel, formaient une unité économique cohérente, de type céréalier : le blé cultivé sur les deux tertres crayeux dominant Lindry, Alpin et Nancré était broyé puis transformé en farine au moulin à eau de Riot, au confluent du Ravillon et du ru de Pré-Long. Tout le reste du finage était encore occupé soit par un vaste marécage, entre le bourg et Riot, soit par une grande forêt domaniale s’étalant sur tout l’est du territoire.

Au milieu du IXe siècle, la paroisse de Lindry appartenait à l’évêque d’Auxerre. Les chanoines de la cathédrale, devenus seigneurs de Pourrain en 820, voulaient toutefois étendre leur domaine. En 879, ils ont obtenu la métairie de Riot de l’évêque Guibaud (879-887), puis, en 885, la moitié occidentale du territoire de Lindry, cédée par le même prélat. Le 8 septembre 887, ils ont reçu enfin la ferme d’Alpin afin de financer chaque année un banquet en l’honneur de l’évêque Hérifrid (887-909). N’échappaient alors à l’emprise des chanoines que Nancré, ainsi que la moitié orientale et boisée du finage.

La métairie de Nancré a fini par tomber dans l’escarcelle du doyen des chanoines. La moitié orientale de Lindry, quant à elle, est tombée entre les mains de puissants seigneurs laïcs, dont certains ont cédé leurs biens aux chanoines : en 1281, ces derniers ont reçu du seigneur de Saint-Maurice-Thizouaille tous les serfs et toutes les terres qu’il possédait à Lindry et autres paroisses du diocèse d’Auxerre, en échange de terres et de serfs à Fleury, Chassy, Aillant et autres localités du diocèse de Sens.

La paroisse de Lindry comportait alors de nouveaux hameaux. Au XIe ou XIIe siècle, pour abriter une population croissante, le marécage situé entre le bourg et Riot avait été asséché : le hameau du Marais y avait été fondé. À la même époque, une partie de la forêt domaniale se trouvant à l’est du territoire avait été défichée pour y bâtir les hameaux de Chazelle, du Bréau et des Houches. Ces tout nouveaux lieux d’habitation, implantés sur les sables de Puisaye déposés à la fin de l’ère secondaire, au cours de l’albien moyen, ont permis de développer une économie rurale plus variée, en ajoutant à la culture des céréales traditionnelle celle de châtaigniers, d’arbres fruitiers et de produits maraîchers. Les vergers et jardins qui se sont dès lors multipliés à Lindry, appelés « ouches » au Moyen Âge, ont d’ailleurs donné leur nom d’antan au hameau des Houches, abritant une population nouvelle de jardiniers.

 

La grande peste noire de 1348 et la guerre de Cent Ans ont mis un terme au formidable développement économique et démographique de la France médiévale. Les paysans ont déserté en masse la paroisse de Lindry, dont les terres sont restées en friche pendant des décennies. Pour repeupler leurs domaines, les chanoines d’Auxerre et leur doyen ont dû affranchir les rares serfs qui restaient à Lindry, le 26 mai 1480. Les paysans ont alors été nombreux à s’installer à Lindry, ceci sous le règne régénérateur du roi Louis XII (1498-1515). L’église Sainte-Geneviève a été rebâtie en 1502, et de nouveaux hameaux ont été créés autour de points d’eau pour accueillir une population en pleine expansion. La plupart ont été désignés sous le nom des familles qui les ont fondés, comme Les Loups, Les Bretons, Les Séguins et Les Bachelets. Dans le prochain numéro de Lindry-Communications, nous verrons à quoi ressemblait la paroisse aux XVIIe et XVIIIe siècles, avec ses trois seigneuries et tous ses hameaux…

 

Pierre LE CLERCQ 

Lindry-Communication n° 53 (mai 2006)

   

paroisse Sainte-Geneviève
paroisse Sainte-Geneviève

5) LINDRY AUX XVIIe ET XVIIIe SIÈCLES

 

La première personne qui a laissé des notes sur l’histoire de Lindry est le chanoine Louis Noël-Damy, curé de l’église Sainte-Geneviève. En 1663, il a écrit dans un manuscrit inédit ce qui suit :

« À l’entrée orientale de cette paroisse, le fond est sablonneux mais, dans le lieu des Houches, le sable est doux et mêlé de bonne terre. Ainsi Lindry, sur terrain, est très bon fond qui a diverses qualités, et Lindry, sous terrain, est diversifié en bonne terre, sable et marne. Dans l’étendue de ladite paroisse sont 25 fontaines ou environ, de très bonne eau, mais celles des Houches et du Marais font des ruisseaux qui coulent dans les biefs des moulins. »

C’est l’humidité constante du sol, due à l’abondance du sable et de l’argile, qui a permis aux paysans d’élire domicile un peu partout à Lindry, dans des hameaux et des écarts fondés autour de sources, de puits et de fontaines. Cet habitat dispersé est typique des paroisses de Puisaye. Seule l’église créait un lien entre tous les habitants. Sur le plan civil, ceux-ci relevaient de trois seigneuries différentes :

1) Le fief de l’église, qui couvrait la majeure partie de Lindry et appartenait aux chanoines du chapitre d’Auxerre, lesquels y exerçaient le droit de haute, moyenne et basse justices sur toute personne ayant commis un crime ou un délit au sein de cette seigneurie.

2) Le fief de Nancré, réduit au hameau de La Métairie et ses alentours, qui appartenait au doyen des chanoines d’Auxerre, lequel y jouissait lui aussi du droit de haute, moyenne et basse justices. On y trouvait deux fontaines aux eaux limpides, à l’usage des habitants.

3) Le fief des Houches, seigneurie laïque dont le seigneur avait lui aussi le droit de haute, moyenne et basse justices. En 1628, elle appartenait à Monsieur de Longvilliers ; en 1641, à Armand d’Effiat puis à son parent, l’abbé d’Effiat. Elle est passée plus tard à Charles de La Porte, duc de La Meilleraye et maréchal de France (1631-1713), époux d’Hortense Mancini, nièce du ministre Mazarin, puis à Henri de Graves, qui était déjà seigneur de Baulche et de Villefargeau.

Chacun de ces trois fiefs constituait une circonscription judiciaire indépendante, appelée « bailliage », avec à sa tête un juge désigné sous le nom de « lieutenant ». Selon les cas, les gens de Lindry étaient donc jugés au bailliage de Lindry, au bailliage du doyenné ou au bailliage des Houches. En 1772, ces trois juridictions ont toutefois été réunies au sein d’un ensemble plus vaste, le bailliage de Beauvoir, regroupant toutes les paroisses entourant Beauvoir et soumises aux chanoines d’Auxerre.

Selon le chanoine Louis Noël-Damy, dont les notes nous sont parvenues grâce au cartographe Oudin, il y avait à Lindry jusqu’à douze hameaux et deux métairies, hormis Les Houches et Nancré. Plusieurs de ces localités existent encore mais d’autres ont disparu dès le XVIIIe siècle :

- Les localités qui existent toujours aujourd’hui sont Riot et Alpin, citées dès l’an 820, puis Chazelle, Le Bréau, Le Fonteny et Le Marais, datant du XIIe siècle, et enfin Les Bretons, du XVIe siècle.

- Les localités ayant disparu au XVIIIe siècle sont La Dominière, Fautrier-l’Etang, Binansiau, Pignat, Montaubrat, Villefareau et La Boulassière, devenues depuis lors de simples lieux-dits inhabités.

Sur la carte de Cassini, dessinée au XVIIIe siècle, on trouve d’autres hameaux qui n’étaient pas cités un siècle plus tôt par Oudin : La Rue-Neuve et Château-Gaillard, qui existent encore, Champ-du-Puits, qui n’est plus qu’un lieu-dit, et Les Bachelets. Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, nous passerons en revue les premiers habitants qui ont peuplé toutes ces localités…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 54 (octobre 2006)

 

blason officiel de Lindry
blason officiel de Lindry

6) LES PREMIERS HABITANTS DE LA PAROISSE

 

Jusqu’au milieu du XXe siècle, le territoire lindrycois a été peuplé essentiellement de paysans, vivant d’agriculture et d’élevage. L’animal symbolique de Lindry, selon le chanoine Louis Noël-Damy, était d’ailleurs une brebis blanche, qui figurait sur fond vert dans l’ancien blason de la paroisse. En termes héraldiques, ce blason était décrit de la façon suivante : « de sinople à la brebis d’argent ». Il dépeint sans équivoque le long passé agricole de la paroisse, devenue commune en 1790.

Les tous premiers paysans connus de Lindry étaient des serfs. En tant que tels, toutes les terres qu’ils cultivaient et toutes les brebis et volailles qu’ils élevaient appartenaient en fait aux seigneurs des trois fiefs de Lindry, à savoir les chanoines d’Auxerre pour le fief de l’église, le doyen des chanoines pour le fief de la métairie de Nancré, et un seigneur laïc pour le fief des Houches. Ne pouvant ni acheter ni vendre de terres ou du bétail, les anciens serfs de Lindry étaient dits mainmortables car leurs mains, qui ne signaient jamais de contrat d’achat, étaient considérées comme mortes.

Cette situation a duré jusqu’à la fin du Moyen Âge. Après la grande peste noire de 1348, suivie de la guerre de Cent Ans, la population de Lindry était si réduite que les chanoines d’Auxerre et leur doyen ont voulu repeupler leurs deux seigneuries pour renflouer leur caisse. Le servage empêchant d’attirer sur place de nouveaux paysans, ils ont alors permis aux derniers serfs de Lindry de négocier avec eux leur affranchissement et de proposer une charte définissant leurs futurs droits et devoirs.

C’est le dimanche 8 février 1478, à l’issue de la messe, que les serfs de Lindry ont élu leurs délégués, chargés d’entamer les négociations. Les chefs de foyer qui ont voté devant l’église Sainte-Geneviève n’étaient qu’au nombre de trente-deux, répartis en deux groupes distincts :

- Les serfs soumis aux chanoines : Jean Ozibon, Michel Larousse, Thévenin Laureau, Perrin Brion, Perrin Thouart, Guillemin Séguin, Pierre Bachelet, Pierre Breton, Jean Jolibois, Regnault Delaroche, Pierre Bertheau, Thiénon Michaut et Jean Bougault le jeune.

- Les serfs soumis au doyen : Etienne Naudot, Jean Bougault l’aîné, Jean Tissier, Thibault Naudot, Pierre Naudot, Guillaume Rigollet, Jean Robin, Jean Camart, Huguenin Balot, Jean Nicault, Gilbert Gauthier, Jean Brisson, Regnault Bailly, Jean Lelièvre, Colas Pomot, Pierre Joquelet, Jean Michaut, Guillaume Gaucher et Urbain Bougault.

Ce sont là les tous premiers paysans connus de Lindry. Ils ont choisi parmi eux quatre délégués : Jean Ozibon et Michel Larousse pour représenter tous les serfs des chanoines, puis Etienne Naudot et Jean Bougault l’aîné pour représenter tous les serfs du doyen. Ils ont engagé en outre, chargés d’assister et de conseiller les quatre manants, six hommes de loi officiant à Auxerre.

L’accord a été conclu le mardi 4 mai 1479, en la cathédrale d’Auxerre. Réunis au son de la cloche, le doyen et les chanoines ont reçu devant deux notaires le conseiller auxerrois Jacques Grail, parlant au nom de tous les habitants de Lindry. Ces derniers, en n’envoyant qu’un seul porte-parole, voulaient signifier aux deux puissances seigneuriales régnant sur Lindry qu’ils entendaient s’organiser non pas au sein des deux seigneuries canoniales séparées, mais à l’échelle de toute la paroisse Deux mondes fort différents s’affrontaient donc : celui de la féodalité agonisante, structurée en seigneuries, et celui des municipalités naissantes, germant à la campagne au cœur des paroisses. Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, nous étudierons la charte finale d’affranchissement ainsi obtenue…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 55 (décembre 2006)

 

7) LA CHARTE D’AFFRANCHISSEMENT DE 1480 

 

Le mardi 4 mai 1479, au bout de quinze mois de négociations, les chanoines d’Auxerre et leur doyen ont déclaré au conseiller auxerrois Jacques Grail, représentant les serfs de Lindry, qu’ils approuvaient les clauses définissant un nouveau cadre de vie pour tous les habitants de la paroisse. Ils ont chargé le notaire auxerrois Blaise Morotte de rédiger la charte d’affranchissement ainsi accordée, mais celui-ci est décédé peu après, contraignant le bailli d’Auxerre Jean Régnier de nommer à sa place, le mardi 12 octobre 1479, trois notaires pour finir tous les contrats laissés en suspens par le défunt.

C’est Pierre de Pogues qui a pris en charge la rédaction finale de la charte affranchissant les habitants de Lindry. Il l’a achevée le vendredi 26 mai 1480, la signant aussitôt avec un autre notaire auxerrois nommé Jean Masle, puis l’a fait sceller du sceau de la prévôté d’Auxerre par deux officiers du roi, le conseiller Pierre Dappoigny et le garde du scel prévôtal, Simon Tribolé.

C’est cette charte qui, pendant trois siècles, du 26 mai 1480 à la nuit du 4 août 1789, a défini les liens entre les paysans de Lindry, d’une part, et les chanoines d’Auxerre et leur doyen, d’autre part. Avant cet accord, les paysans lindrycois n’étaient que des serfs, appartenant corps et biens à leurs seigneurs. Ils n’étaient que les simples tenanciers des terres qu’ils cultivaient, ne pouvant pas en disposer à leur guise puisqu’ils n’en avaient point la propriété. Ils n’avaient que le droit coutumier de jouir leur vie durant des biens qu’ils exploitaient, ce droit n’étant pas héréditaire mais uniquement transmissible à leurs fils ou leurs gendres vivant sous le même toit qu’eux. Si cette condition de vie commune n’était pas remplie, tous les biens d’un défunt revenaient aux chanoines, leurs vrais propriétaires.

La charte d’affranchissement du vendredi 26 mai 1480 a changé la donne. Elle a instauré en fait deux types de propriété : la propriété foncière, reconnue désormais aux paysans de Lindry enfin affranchis, et la propriété seigneuriale, restant entre les mains des chanoines d’Auxerre et de leur doyen. Ceux-ci, pour se dédommager, ont renchéri les deux dîmes existantes et créé trois nouveaux droits :

- La dîme de grains : Désormais, chaque foyer exploitant des terres à Lindry, qui jusque lors devait donner un vingtième de leur production annuelle en grains aux chanoines et à leur doyen, serait tenu à en offrir jusqu’à un quinzième, le tout conduit à Auxerre aux frais des cultivateurs.

- La dîme de vin : Chaque foyer exploitant des vignes à Lindry, qui jusque lors ne devait donner aux chanoines et au doyen qu’un trentième de leur production annuelle en vin, le tout conduit à Auxerre à la charge des vignerons, serait obligé d’en offrir dorénavant jusqu’à un vingtième.

- Le droit de censive : Chaque foyer exploitant des terres ou des vignes à Lindry paierait une taxe foncière annuelle de six deniers tournois par arpent, à verser le jour de la Saint-Jean-Évangéliste, tout en acquittant à chaque achat ou échange un droit de mutation appelé « droit de lods et vente ».

- Le droit de bourgeoisie : Chaque foyer demeurant à Lindry verserait aux chanoines et au doyen une taxe d’habitation annuelle de cinq sols tournois, à payer le jour de la purification de Notre-Dame.

- Le droit d’usage : Enfin, chaque foyer utilisant la forêt seigneuriale de Lindry pour y pacager ses pourceaux, y prélever du bois de charpente et de chauffage et y fabriquer des perches pour les vignes, paierait une redevance annuelle de six deniers tournois, à verser le jour de la Sainte-Geneviève.

Ces cinq impôts seigneuriaux ont duré jusqu’à la Révolution. En échange, les paysans de Lindry ont pu hériter de terres et de vignes appartenant à des cousins et les vendre ou échanger à leur gré. Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, nous passerons en revue les paysans de 1528…  

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 56 (mai 2007)

 

8) LES CENSITAIRES DE LINDRY EN 1528

 

Pendant trois cent neuf ans, de la signature de leur charte d’affranchissement, le 26 mai 1480, à l’abolition des privilèges en France, le 4 août 1789, les paysans de Lindry ont été soumis à cinq impôts seigneuriaux, perçus au profit des chanoines d’Auxerre et de leur doyen : la dîme de grains, la dîme de vin, le droit de censive, le droit de bourgeoisie et le droit d’usage.

En 1528, désireux de contrôler la perception du droit de censive, les chanoines et leur doyen ont dressé une liste des paysans possédant terres et vignes à Lindry, appelée rôle de cens. Sur cette liste de censitaires, devant payer leur taxe foncière le jour de la Saint-Jean-Évangéliste, on dénombre au moins 220 chefs de foyer dont la plupart vivaient à Lindry. Ceux-ci peuvent se répartir en deux groupes selon que leur nom de famille était déjà porté ou non par l’un des trente-deux serfs recensés à Lindry cinquante ans plus tôt, le dimanche 8 février 1478.

- Les censitaires issus des anciens serfs de 1478 : on relève dans le rôle de cens de 1528 un seul Bachelet, deux Balot, dix-sept Bougault, sept Breton, un Brion, six Brisson, un Camart, un Gaucher, un Gauthier, huit Jolibois, deux Joquelet, quatre Lelièvre, quatre Michaut, treize Naudot, quatre Nicault, deux Ozibon, un Pomot, dix Rigollet et deux Tissier, soit en tout 87 personnes qui portaient 19 noms de famille différents.

- Les censitaires issus de familles venues après 1480 : on voit aussi dans ledit rôle de cens un Arnault, un Bain, un Barbarat, un Bardot, un Baufilon, deux Bélamy, deux Bérault, quatre Bernard, quatre Blanchard, deux Blandin, cinq Boileau, un Boivin, un Bourot, cinq Brasdefer, un Brisset, un Buerin, quatre Camusat, un Carreau, un Chabart, six Chantereau, un Charleau, trois Chouart, un Collesson, deux Cotain, trois Couillault, un Coudriat, un Coutancien, quatre Dechezjean, deux Delachaume, un Dimanchot, un Duvau, deux Enguerrant, un Félix et un Ferrant, un Fouchereux, un Fredouille, un Gendrot, un Grisard, un Grollon, cinq Georgin, six Guérin, un Gueudon, un Guyon, un Horry, un House, un Hurlault, un Juif, deux Lamy, deux Leclerc, un Legendre, un Levrat, un Lombardat, deux Loup, un Loiseau, deux Machavoine, un Madelénat, un Mare, un Massé, un Maugis, un Ménemoys, un Millin, deux Moutardier, six Narjot, deux Pointbœuf, un Pourrée, un Probelle, un Putois, un Ravillon, un Roy, un Sadot, un Simony, un Tesson, un Thibault, un Triboulot, un Vignot, un Viguereux et deux Viollet, soit en tout 133 personnes portant 77 noms de famille différents.

Entre 1478 et 1528, la population de Lindry a beaucoup augmenté, conformément aux vœux des chanoines d’Auxerre et de leur doyen. Si huit familles ont disparu, à savoir les Bailly, les Bertheau, les Delaroche, les Larousse, les Laureau, les Robin, les Séguin et les Thouart, cette perte a été compensée par l’arrivée de 77 nouvelles familles venues d’ailleurs. Les 19 familles d’origine qui subsistaient, regroupant 87 censitaires sur 220, représentaient toutefois 40% de la population de Lindry. L’essor démographique de la paroisse, de 1478 à 1528, a donc reposé sur un apport de nouvelles familles mais aussi sur l’épanouissement des familles d’origine. Le prochain numéro de Lindry-Communication traitera des familles les plus nombreuses…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 57 (octobre 2007)

 

9) LES PRINCIPALES FAMILLES DE LINDRY DE 1574 À 1792 

 

En cinquante ans, de 1478 à 1528, la population de Lindry a beaucoup augmenté. C’est sous le règne du roi Louis XII, à la tête du pays de 1498 à 1515, que l’explosion démographique a été la plus forte, ceci dans le droit fil de la renaissance de la France après les affres de la guerre de Cent Ans.

Les habitants de Lindry ont dû subir ensuite les guerres de religion, de 1561 à 1572, coincés entre les catholiques d’Auxerre et les protestants qui occupaient entre autres lieux Pourrain, Poilly-sur-Tholon, Saint-Maurice-Thizouaille, Chassy et Fleury-la-Vallée et qui avaient aussi endommagé les églises de Charbuy, Villefargeau et Appoigny, désertées et laissées à l’abandon depuis lors. Ce n’est qu’après le massacre de la Saint-Barthélemy, perpétré dans la nuit du 23 au 24 août 1572, et après que l’évêque d’Auxerre Jacques Amyot ait obligé les protestants de son diocèse à se convertir au catholicisme, du début de l’automne 1572 à la fin de l’hiver 1573, que la vie religieuse a pu reprendre à Lindry.

Le 8 octobre 1574, en effet, l’église de Lindry a accueilli un nouveau vicaire nommé Jollyboys, qui a dirigé la paroisse pendant une trentaine d’années, jusqu’en 1605. C’est lui qui a inauguré ce jour-là le tout premier registre d’état civil de Lindry en y consignant deux baptêmes. Grâce à ce prêtre et à ses successeurs, on connaît tous les habitants de la paroisse sur plus de deux siècles, jusqu’à la clôture du dernier registre paroissial par le maire de Lindry Claude Jolly, le 4 novembre de l’année 1792.

De 1574 à 1792, les vicaires et curés successifs de Lindry ont enregistré des milliers d’actes, gardant ainsi la trace écrite de tous les baptêmes, mariages et sépultures de leurs paroissiens. De 1632 à 1792, on dénombre dans leurs registres jusqu’à 1113 actes de mariage, qui unissent 1113 hommes portant 229 noms de famille distincts à 1113 femmes portant 208 noms de famille différents. Un conjoint sur dix environ, soit 235 personnes sur les 2226 hommes et femmes mariés à Lindry avant 1793, jusqu’à l’abolition de la monarchie et l’avènement de la République en France, s’appelait Bougault.

Les Bougault, déjà rencontrés dans la charte d’affranchissement du 26 mai 1480, constituaient de loin la famille la plus nombreuse de Lindry sous l’Ancien Régime. La deuxième famille n’a fourni que 93 conjoints de 1632 à 1792, soit à peine 4% environ des 2226 époux recensés pendant cette période : il s’agit de la famille Chantereau, implantée à Lindry entre 1480 et 1528. Viennent ensuite huit familles moins nombreuses mais figurant néanmoins dans le peloton de tête des familles de Lindry sur le plan démographique : d’abord les Tissier avec 90 conjoints, les Berry avec 74 conjoints et les Naudot avec 71 conjoints, puis les Houchot avec 54 conjoints, les Bachelet avec 49 conjoints, les Lombardat avec 43 conjoints, les Grisard avec 40 conjoints et enfin les Ragon avec seulement 38 conjoints.

Sur ces dix familles, seules quatre étaient issues de serfs affranchis le 26 mai 1480 : les Bougault, les Tissier, les Naudot et les Bachelet. Les six autres familles se sont implantées à Lindry par la suite, les Chantereau, les Lombardat et les Grisard avant 1528, puis les Berry, les Houchot et les Ragon après cette date. Dans ce peloton de tête, trois familles étaient toutefois en voie de disparition à Lindry, les Naudot, les Lombardat et les Ragon, qui ont fourni comme conjoints beaucoup moins d’hommes que de femmes et compromis ainsi la transmission et la pérennité de leurs trois noms respectifs.

L’histoire des habitants de Lindry, cependant, ne se limite pas aux membres des dix familles les plus prolifiques, même si ceux-ci représentaient ensemble jusqu’à 35% de la population. Tout le monde a vécu les mêmes aléas, qui seront décrits dans le prochain numéro de Lindry-Communication

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 58 (décembre 2007)

 

10) LES ALÉAS DE LA VIE À LINDRY DE 1572 À 1598

 

Les massacres de la Saint-Barthélemy, perpétrés dans la nuit du 23 au 24 août 1572, ont mis un terme définitif à l’expansion du protestantisme en France. Dès lors, l’Eglise catholique a repris en mains les paroisses abandonnées dans chaque évêché, dont celle de Lindry dans le diocèse d’Auxerre.

À l’époque, l’évêque d’Auxerre était Jacques Amyot. Grand aumônier de France, ce proche serviteur de la famille royale a aussitôt forcé 123 protestants de son ressort à abjurer, du 17 octobre 1572 au 24 octobre 1573. Il semblerait que les habitants de Lindry étaient tous demeurés catholiques pendant les guerres de Religion, car aucun d’eux ne figure dans la liste des gens ayant dû renoncer à leur foi.

Leurs proches voisins de Pourrain, en revanche, avaient massivement rejoint les rangs des protestants, convaincus de quitter le giron de l’Eglise catholique par leur propre vicaire, Jean Yver. Ce prêtre, qui était devenu pasteur de Pourrain, a dû abjurer le protestantisme le 20 décembre 1572 à Auxerre. Après lui, plusieurs de ses ouailles ont fait de même pour échapper à la répression, à savoir Simon Frappé, François Taffineau, Pierre Michaut, Jean et Germain Demarnay, et Etienne et Léger Péricaudet.

C’est le 8 octobre 1574 que la vie religieuse a recommencé en l’église Sainte-Geneviève à Lindry. Ce jour-là, le nouveau vicaire envoyé par l’évêque Jacques Amyot, un certain Jollybois, a enregistré deux actes de baptême, les plus anciens de la paroisse. Grâce à ce prêtre, l’état civil des habitants de Lindry a ainsi été créé, permettant de connaître l’histoire continue des familles lindrycoises depuis lors.

Le curé de Lindry, à l’époque, était le chanoine Jean Repoux. Comme tous les curés du XVIe siècle, il ne résidait pas dans sa paroisse mais à Auxerre, auprès de l’évêque. Il se contentait de louer sa cure et ses fonctions pastorales à un vicaire, choisi par lui. Le vicaire Jollybois n’était donc pas véritablement le chef spirituel suprême de Lindry, la paroisse appartenant en fait à un chanoine de tutelle.

Le 30 mai 1574, le roi Charles IX est mort à Vincennes. Son successeur, le roi Henri III, est parvenu à maintenir la paix dans le royaume pendant dix ans, aussi longtemps que vivait son frère cadet, le duc François d’Anjou. Le décès de ce dernier, le 10 juin 1584 à Château-Thierry, a aussitôt provoqué une longue guerre dynastique de dix ans. Pour empêcher que ne monte un jour sur le trône de France le roi Henri de Navarre, chef des protestants, le duc Henri de Guise a fondé en effet à Nancy, dès septembre 1584, la Sainte Ligue catholique, ouvrant dans la foulée les hostilités avec l’appui de l’Espagne.

Les registres paroissiaux de Lindry portent la trace de cette nouvelle guerre civile. Plusieurs pages ont disparu pendant le conflit, couvrant une quinzaine d’années, de mars 1583 à juin 1598. L’assassinat à Blois du duc Henri de Guise, le 23 décembre 1588, a divisé profondément le diocèse d’Auxerre. Si les paysans de Lindry sont restés fidèles au roi Henri III, protégés par le seigneur de Villefargeau Claude d’Estampes, les bourgeois d’Auxerre se sont soulevés contre le souverain et l’évêque Jacques Amyot. Pendant cinq ans et demi, les Auxerrois se sont battus pour la Ligue, ravageant les campagnes tenues par les royalistes. Le 21 avril 1589, ils ont assailli la garnison de Lindry à la bataille du Bréau.

La paix a été restaurée le 7 avril 1594, lorsque les ligueurs d’Auxerre se sont soumis au roi Henri IV. Les habitants de Lindry ont ensuite subi une terrible disette de quatre ans, qui a frappé toute l’Europe de 1594 à 1597 en raison d’une soudaine détérioration climatique. Il s’agissait du début du « petit âge glaciaire », qui devait durer pendant deux siècles et demi. Ce refroidissement subit du climat est venu s’ajouter aux aléas de la vie paysanne, décrits dans le prochain numéro de Lindry-Communication

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 60 (juin 2008)

 

11) LES ALÉAS DE LA VIE À LINDRY DE 1598 à 1652

 

En juillet 1598, le vicaire Jollybois a repris l’enregistrement des actes de baptême de ses paroissiens à Lindry. Pendant les quinze années précédentes, il avait sans doute rédigé d’autres actes, mais ceux-ci ont disparu en raison des guerres de la Ligue, de 1584 à 1594, puis de la disette qui a frappé l’Europe entière de 1594 à 1597. Le tout dernier acte de baptême qu’il a signé date du 23 juin 1601.

Son successeur, le vicaire Genévrier, a rédigé son premier acte baptistaire en mars 1613. Depuis trois ans, la France était dirigée par la veuve du roi Henri IV, Marie de Médicis, qui s’était rapprochée des Espagnols et menaçait les protestants du royaume. Ces derniers ont donc fini par se soulever. Prenant la tête des insurgés, le prince Henri II de Condé a ravagé Appoigny le 22 octobre 1615, s’emparant du château épiscopal de Régennes le lendemain. Il a ensuite traversé les bourgs de Branches, Poilly-sur-Tholon, Egleny, Merry-la-Vallée et Toucy, arrivant à Saint-Sauveur le 25 octobre 1615. En chemin, il avait réquisitionné des vivres pour ses soldats et ses chevaux dans toutes les paroisses environnantes, dont celle de Lindry. Les registres paroissiaux de Lindry portent la trace de ce passage hostile : du 18 septembre 1615 au 17 mars 1616, le vicaire Genévrier n’a enregistré aucun acte de baptême.

Après le traité de paix de Loudun, signé le 3 mai 1616, les habitants de Lindry ont bénéficié de quinze années de répit. Ils ont dû subir, cependant, les frimas du « petit âge glaciaire » qui s’était installé en Europe en 1594. Le 24 septembre 1621, par exemple, toutes les vignes de l’Auxerrois ont gelé.

Malgré la paix civile qui régnait en France depuis 1616, le passage des troupes provoquait parfois des drames. Le 8 octobre 1630, à côté de Lindry, les soldats des capitaines Dufarclant et Lablonde, venus de Normandie, ont pillé le bourg de Pourrain, tué deux habitants et capturé dix-huit hommes pour les emmener en otages, torturant ceux-ci pendant quatre jours, les mains liées derrière le dos.

Cinq mois plus tard, le duc Gaston d’Orléans s’est révolté contre le roi Louis XIII, son frère. Arrivé à Toucy le 15 mars 1631, alors qu’il marchait avec ses troupes sur Auxerre, il y a appris que l’armée de son frère approchait pour l’affronter. Renonçant à s’emparer d’Auxerre, il a alors obliqué vers le sud, passant par Cravant pour se réfugier dans le duché de Bourgogne. Le 21 mars 1631, le roi Louis XIII et son ministre Richelieu sont arrivés à Auxerre où ils ont passé la nuit. La venue du souverain a évité aux paysans de Lindry les affres du passage des troupes de Gaston d’Orléans par leurs terres.

Le dernier soulèvement des princes du sang a eu lieu pendant la Fronde. Le 6 avril 1652, à la bataille de Rogny-les-Sept-Ecluses, les troupes royales du maréchal d’Hocquincourt ont été repoussées vers le finage de Bléneau par le prince Louis II de Condé, chef des frondeurs. Dès le lendemain, à la bataille de Bléneau, le prince de Condé a toutefois été repoussé à son tour par le maréchal de France Henri II de La Tour, vicomte de Turenne, accouru à la rescousse du maréchal d’Hocquincourt. Cette victoire a permis au jeune roi Louis XIV, qui a passé la nuit à Saint-Fargeau le 17 avril 1652, de regagner enfin Paris, sa capitale tenue par la Fronde, en passant par les environs de Lindry, Auxerre et Sens.

Avant de quitter Auxerre, le roi a demandé au chevalier Bénigne du Ruel, seigneur de la châtellenie de Saint-Maurice-Thizouaille, de lever dans un délai de dix jours une compagnie de chevau-légers et une troupe de miliciens, le chargeant de nettoyer avec ces troupes les dernières poches de frondeurs dans le sud de la vallée de l’Yonne. Les habitants de Lindry, restés fidèles au roi de France, ont participé à ce nettoyage final. C’est ce que nous verrons dans le prochain numéro de Lindry-Communication

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 61 (octobre 2008)

   

12) LES ALÉAS DE LA VIE À LINDRY EN 1652 ET APRÈS

 

Après la bataille de Bléneau, remportée le 7 avril 1652 par Turenne sur le prince Louis II de Condé, le chevalier Bénigne du Ruel, seigneur de la châtellenie de Saint-Maurice-Thizouaille, a été chargé par le jeune roi Louis XIV de nettoyer les derniers bastions de la Fronde dans le sud de l’Yonne. Le 30 avril 1652, à la tête de 25 cavaliers et de quelque 350 paysans réquisitionnés aux deux Saint-Maurice, ainsi qu’à Chassy, Poilly-sur-Tholon, Charbuy, Beauvoir, Pourrain et Lindry, le chevalier ainsi commis par le roi a donc attaqué le bourg frondeur de Diges, épargnant les habitants contre une rançon s’élevant à la somme de 3000 livres. La victoire finale du roi sur la Fronde, par conséquent, est due en partie aux paysans de Lindry, partisans du renforcement de la monarchie face à la collusion des princes.

Les désordres de la Fronde ont provoqué en France, de 1649 à 1652, une famine dont ont pâti les gens de Lindry. La confrontation dans l’Yonne des deux armées ennemies, royale et princière, a interrompu en outre, au lendemain du 13 avril 1652, l’enregistrement à Lindry des actes de baptême par le vicaire intérimaire Jean Leclerc. L’intérim n’a été repris que le 9 mai 1652 par un prêtre cordelier nommé de Vaux, envoyé d’Auxerre, mais celui-ci a cessé ses fonctions pastorales dès le 13 mai suivant.

Le presbytère de Lindry est ensuite resté inoccupé pendant trois mois et demi. En l’absence de vicaire pour le remplacer, le chanoine Louis Noël-Damy, curé en titre de Lindry, a dû séjourner pendant huit mois dans sa paroisse, ceci du 29 août 1652 au 24 avril 1653. Il a d’abord ajouté dans les registres de Lindry deux actes de baptême que ses vicaires avaient oublié de noter lors du conflit, datés des 7 avril et 1er mai 1652, puis il a enregistré en novembre 1652 les premiers actes de mariage de Lindry. Le 10 mai 1653, un nouveau vicaire a remplacé Louis Noël-Damy au presbytère, nommé Coullard.

La guerre opposant le roi de France à la Fronde a pris fin le 20 juillet 1653, par un traité de paix signé ce jour-là à Pézenas, dans le Languedoc. Dès lors, comme tous les Français, les Lindrycois n’ont plus connu de guerre civile jusqu’à la Révolution. Jusqu’en 1792, les registres paroissiaux de Lindry ont donc été bien tenus, en dehors d’une dernière interruption allant d’octobre 1653 à mai 1655.

Les actes enregistrés par les curés et les vicaires de 1574 à 1792, puis ceux écrits par les maires et les officiers d’état civil par la suite, permettent de connaître l’évolution démographique de la population à Lindry. En moyenne, de 1574 à 1860, on dénombre dans les registres de Lindry 31 naissances par an, 18 mariages et 27 décès. Le renouvellement des générations était plutôt lent : un homme de Lindry ne se mariait que 36 ans, en moyenne, après le mariage de ses parents. Ce long intervalle est dû en fait à la forte mortalité infantile qui faisait que les aînés de la famille ne parvenaient pas souvent à l’âge du mariage. Il est dû également aux difficultés qu’avaient les paysans de l’époque à réunir suffisamment de biens pour créer un foyer viable : avant même de songer à se marier, les campagnards prudents de Lindry devaient attendre de toucher l’héritage, souvent maigre, de l’un de leurs défunts parents.

C’est en hiver que les paysans de Lindry naissaient, se mariaient ou mouraient le plus et en été que les taux de natalité, de nuptialité et de mortalité étaient les plus bas. Avant la Révolution, on évitait de se marier pendant les deux périodes religieuses de carême et de l’avent, et lors des travaux des champs et des vignes. La plupart des mariages avaient donc lieu en janvier, en février ou en novembre, surtout un lundi ou un mardi. Les remariages, beaucoup moins nombreux, avaient surtout lieu aux mois de mai ou de juin. Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, on trouvera la suite de cette étude…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 62 (décembre 2008)

 

13) LES ALÉAS DE LA VIE À LINDRY DE 1662 À 1714

 

L’étude des registres paroissiaux de Lindry, et des registres d’état civil qui leur ont succédé en 1792, est riche d’enseignements. En moyenne, de 1574 à 1860, on dénombre dans les registres de Lindry 31 naissances par an, 18 mariages et 27 décès. Les écarts par rapport à ces trois chiffres moyens donnent la mesure des hauts et des bas dans la vie des habitants de Lindry jusqu’au milieu du XIXe siècle.

En 1662, une terrible disette a frappé toute la France. Cette catastrophe nationale s’est traduite dans la paroisse de Lindry par 57 décès, dont 12 au mois d’octobre, pour seulement 24 naissances. Peu après, toutefois, alors que le pays connaissait une forte croissance économique, au début du règne personnel du roi Louis XIV, la même localité a connu sa période de fécondité maximale, pendant une décennie. De 1664 à 1673, en effet, le nouveau curé de Lindry, qui s’appelait Goureau et résidait enfin à Lindry, contrairement à ses prédécesseurs, a enregistré jusqu’à 419 naissances, soit une moyenne élevée de 42 naissances par an. En octobre 1668, une épidémie a causé cependant jusqu’à 23 décès à Lindry.

En 1676, une nouvelle épidémie a provoqué 65 décès dans la paroisse, pour 36 naissances. Les taux de natalité, de nuptialité et de mortalité sont restés néanmoins, en moyenne, aussi élevés qu’auparavant, ceci jusqu’à la fin du XVIIe siècle. Le nombre d’habitants restait donc inchangé dans la paroisse.

La révocation de l’édit de Nantes, en 1685, a inauguré une longue période de guerres en Europe. Dès lors, même si les combats n’avaient plus lieu en France, les paysans de Lindry ont subi rapidement les conséquences des hostilités provoquées par le roi Louis XIV. En effet, pour financer la longue guerre de la ligue d’Augsbourg, qui a duré de 1686 à 1697, le souverain français a dû accroître les impôts de ses sujets, venant s’ajouter aux impôts versés au clergé. Les habitants de Lindry ont vite refusé d’élire les collecteurs de dîme. Le 29 septembre 1686, pour permettre au curé de Lindry de toucher la dîme qui lui était due, les fabriciens de la paroisse ont donc été obligés de désigner eux-mêmes les paysans chargés de la collecte de l’impôt religieux, ceci devant maître Jean Joly, notaire à Auxerre.

En 1694, alors que la guerre de la ligue d’Augsbourg touchait à sa fin, une nouvelle disette a frappé la France, comme en 1662. En 1697, le curé de Lindry a effectué un recensement de ses paroissiens, qu’il a appelé « état des âmes ». La population commençait alors à décliner. De 1699 à 1716, le nombre de nouveau-nés est tombé à 29 enfants seulement par an, en moyenne, soit deux naissances de moins que lors des périodes précédentes. Cette chute de la natalité traduisait les difficultés que la paysannerie du pays, de plus en plus endettée, rencontrait à l’époque en raison de la récession économique provoquée par la guerre à outrance. Le règne de Louis XIV, bénéfique au début, s’achevait dans la misère.

La guerre de Succession d’Espagne, qui a ravagé l’Europe de 1701 à 1714, a plongé tous les habitants de Lindry dans les pires difficultés. Paradoxalement, tandis que le taux de natalité baissait, celui de la nuptialité augmentait, surtout de 1702 à 1706. Ceci n’était pas le signe d’un regain d’optimisme dans la paroisse, mais un moyen d’échapper à la conscription, en un temps où chaque localité devait fournir aux armées du roi des miliciens, tirés au sort parmi les jeunes célibataires. La demande en soldats était telle qu’en 1705, du 23 au 27 novembre, le curé de Lindry a marié précipitamment jusqu’à 21 jeunes réfractaires au service militaire. En 1709, un automne très froid a causé 49 décès d’adultes, dont 10 en octobre, puis une terrible disette a de nouveau frappé la France en 1710. Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, on étudiera la population de Lindry après le règne du roi Louis XIV…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 64 (mai 2009)

 

nourrice allaitant
nourrice allaitant

14) LES ALÉAS DE LA VIE DE 1715 À 1788

 

À la mort du roi Louis XIV, décédé le 1er septembre 1715 à Versailles, la France était exsangue. Une longue période de marasme démographique s’est installée à Lindry, jusqu’à la Révolution. Si le règne du roi Louis XV a vu une reprise de la natalité, avec une moyenne de 31 naissances par an de 1717 à 1770, le taux de nuptialité, qui était de 19 mariages par an de 1717 à 1734, a chuté à une moyenne très basse de 15 mariages par an de 1735 à 1788. Cette baisse des unions matrimoniales a fini par entraîner une diminution du nombre des nouveau-nés, avec 28 naissances par an de 1771 à 1788.

Ces chiffres indiquent que la population de Lindry ne s’est jamais vraiment remise des guerres lancées par le roi Louis XIV après la révocation de l’édit de Nantes en 1685. L’avènement du roi Louis XV a certes provoqué un regain d’activité pendant quelque temps, mais dès 1735 le nombre d’habitants a de nouveau décliné à Lindry, atteignant son seuil le plus bas sous le règne du roi Louis XVI.

Le développement de la misère au XVIIIe siècle a eu au moins deux effets négatifs : une plus grande vulnérabilité des habitants de Lindry face aux épidémies, et l’augmentation constante du nombre des paysans ruinés devenus vagabonds et semant la terreur dans les campagnes. De décembre 1730 à mars 1731, il y a eu en effet jusqu’à 31 morts à Lindry, en seulement quatre mois, alors que la moyenne des trépas enregistrés à l’époque n’était que de 16 décès par an, ceci de l’an 1717 à 1734. Le 28 décembre 1753, une certaine Marie Bachelet est ensuite décédée de ses blessures à Lindry, sept jours après avoir été grièvement blessée par « les coups meurtriers qui lui ont été cruellement déchargés par certains quidams ». Puis, en février et mars 1754, le curé de Lindry a dû inhumer jusqu’à 22 morts en l’espace d’à peine deux mois. Pour finir, le 8 mai 1754, les chanoines de la cathédrale d’Auxerre ont informé le lieutenant de la maréchaussée de la ville qu’un vagabond menaçait chaque jour, à Lindry, de tuer tous les habitants de la paroisse qu’il rencontrerait et d’incendier les chaumières de la localité.

En dehors des problèmes d’épidémies et de vagabondage, les Lindrycois ont dû endurer également les effets du climat, qui depuis l’an 1594 s’était détérioré pour entrer dans le « petit âge glaciaire ». Le 29 septembre 1755, le bourg de Lindry a été violemment bombardé par la grêle lors d’un ouragan. Tous les vitraux qui décoraient alors l’église Sainte-Geneviève ont fini par voler en éclats.

Un changement notable est intervenu à Lindry, et dans la plupart des paroisses environnantes, à partir de l’an 1754. Pour accroître ou maintenir leurs revenus, les paysans se sont mis massivement à élever chez eux des enfants en nourrice. L’accroissement de la misère et l’émergence de l’individualisme ont fini par provoquer, en France, l’abandon de nombreux enfants par des mères en détresse, voire par des gens voulant préserver leur confort personnel comme Jean-Jacques Rousseau. Soudain surchargés par cette vague imprévue de bouches à nourrir, l’hôtel-Dieu d’Auxerre et celui de Paris ont dû déverser, à Lindry et ailleurs, ce trop-plein d’enfants ainsi délaissés pour de bonnes et mauvaises raisons.

Le curé de Lindry n’a pas tardé à enregistrer, dans ses livres paroissiaux, la mort de nombreux enfants en nourrice. Si certains avaient été placés sur place par leurs parents, appartenant à la bourgeoisie de Paris ou d’Auxerre, la plupart avaient été envoyés par les deux maisons de charité de ces deux villes. De 1754 à 1788, on compte à Lindry jusqu’à 228 décès d’enfants en nourrice, dont 114 qui sont morts de 1764 à 1775. Le phénomène d’accueil de nourrissons par les Lindrycois était donc important. Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, on évoquera l’époque de la Révolution…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 65 (octobre 2009)

 

15) LA RÉVOLUTION À LINDRY SOUS LA MONARCHIE

 

Au cours du XVIIIe siècle, la vie des paysans s’étaient détériorée à Lindry. La natalité y avait chuté, ainsi que le nombre des mariages, et depuis 1754 les Lindrycoises allégeaient la misère de leur foyer en élevant des enfants abandonnés, placés massivement chez elles en nourrice.

Les conflits entre paysans étaient devenus aussi plus âpres. Les règles communautaires, instaurées par la charte d’affranchissement du 26 mai 1480, commençaient à être contestées par une partie des gens de Lindry, gagnés par l’individualisme croissant du siècle des Lumières : en 1779, sur les 800 arpents de la réserve seigneuriale des « grands usages », où 68 paysans du Fonteny, du Bréau, des Bretons, des Bachelets et de Chazelles avaient encore coutume de faire pacager en commun 172 vaches et 200 moutons, 87 arpents avaient déjà été accaparés par 26 autres paysans, moins solidaires.

 

prise de la Bastille 14 Juillet 1789 anonyme - musée de Versailles
prise de la Bastille 14 Juillet 1789 anonyme - musée de Versailles

La Révolution de 1789 a créé d’autres tensions à Lindry, avec l’apprentissage de la politique. Elle a toutefois été approuvée très largement par les Lindrycois, qui le 18 mars 1789 ont établi un cahier de doléances signé par 43 notables payant des impôts. Dans ce cahier, rédigé par le syndic Jean Antoine Alexandre Bachelet, les chanoines d’Auxerre ont été traités de « pieux fainéants ».

Le 14 décembre 1789, par une loi nationale érigeant chaque paroisse de France en commune, avec un maire à sa tête, a été fondée la commune de Lindry, d’une superficie de 1522 hectares, 10 ares et 64 centiares. Le premier maire, Edme Bougault, a été élu au début de 1790. Il a aussitôt pris la tête de la commune, évinçant ainsi le syndic de la paroisse, Jean Antoine Alexandre Bachelet.

À l’époque, les révolutionnaires n’étaient pas encore républicains. Ils souhaitaient instaurer en France une monarchie constitutionnelle, où la loi votée par le peuple serait ensuite approuvée par le roi. Une partie d’entre eux, cependant, voulait rompre avec le pape en créant une Eglise démocratique, où les curés seraient élus et assermentés. Le curé de Lindry, Claude Goin, a refusé de ne plus être soumis au pouvoir pontifical. Demis de ses fonctions pastorales le 16 avril 1791, il a été remplacé dès le 15 mai suivant par un ancien moine bénédictin d’Auxerre, Eustache Jean Précieux, qui avait prêté le serment requis. Pour chasser de Lindry le curé déchu, qui refusait de quitter son presbytère avec l’appui d’une partie des Lindrycois pour qui la Révolution allait trop loin, le directoire du district d’Auxerre a dû intervenir le 4 juillet 1791, en lançant un mandat d’arrêt contre ledit Claude Goin.

Le nouveau curé, Eustache Jean Précieux, s’est vite investi dans la vie démocratique de Lindry. Elu président de l’assemblée électorale de la commune le 13 novembre 1791, il a organisé le lendemain l’élection municipale devant renouveler les mandats locaux. Le maire sortant, Edme Bougault, a été réélu par 55 voix sur 107 suffrages exprimés, mais l’un des candidats malheureux, l’ancien syndic Jean Antoine Alexandre Bachelet, a aussitôt contesté le résultat pour vice de forme, parvenant à faire annuler le vote le 21 novembre 1791. Pour apaiser les esprits, le directoire du district d’Auxerre a dû dépêcher deux commissaires à Lindry. Le 27 décembre 1791, Claude Joly a été élu maire.

Avec la Révolution, les laboureurs de l’Ancien Régime ont commencé à être qualifiés de cultivateurs ou de propriétaires. Certains ont pu s’enrichir en achetant des biens nationaux. Le 20 avril 1792, dix d’entre eux ont acquis toutes les terres confisquées à la cure de Lindry, ceci pour des sommes allant de 120 à 2025 livres payables en 12 ans. Le curé Eustache Jean Précieux a approuvé cette liquidation. Il n’a pas été récompensé de sa complaisance, comme nous le verrons dans le prochain numéro…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 67 (mai 2010)

   

16) LA RÉVOLUTION À LINDRY SOUS LA RÉPUBLIQUE

 

Pendant les trois premières années de la Révolution française, les Lindrycois voulaient vivre sous une monarchie constitutionnelle, comme en Suède ou en Angleterre. Le 17 juillet 1789, reçu à l’hôtel de ville de Paris, le roi Louis XVI avait semblé accepter de partager le pouvoir avec le peuple en portant une cocarde tricolore, où la couleur blanche de la monarchie était entourée des deux couleurs bleue et rouge des Parisiens. Ce rêve d’une alliance politique entre le roi et ses sujets s’est effondré lorsque le souverain, trahissant la Nation, a tenté de fuir le pays, se faisant arrêter le 21 juin 1791 avec sa famille à Varennes-en-Argonne (55). Dès lors, un parti républicain a émergé en France, visant à renverser le roi félon et la monarchie : de fraternelle, la Révolution française est alors devenue fratricide.

Le 20 avril 1792, les républicains ayant fini par supplanter à l’Assemblée nationale les partisans d’une monarchie constitutionnelle, les députés français ont déclaré la guerre à l’Autriche. Devenu inutile, le roi Louis XVI a été enfermé à la prison du Temple le 13 août 1792, puis, le 22 septembre 1792, deux jours après la victoire de Valmy, les représentants du peuple ont proclamé la République.

Depuis le 27 décembre 1791, Claude Joly était maire de Lindry. Le 4 novembre 1792, il s’est rendu à l’église Sainte-Geneviève pour y clore les registres paroissiaux de sa commune, en application d’une loi républicaine qui créait l’état civil en France : désormais, l’enregistrement des naissances, mariages et décès des citoyens français était confié aux maires. Le curé de Lindry, Eustache Jean Précieux, qui avait accepté le 20 avril 1792 que l’on vende comme biens nationaux toutes les terres confisquées à sa cure, a laissé faire le maire Claude Joly. Le tout premier acte d’état civil de Lindry a été enregistré le 15 novembre 1792 par Jean François Favot, juge de paix du canton de Saint-Georges. Le 9 décembre suivant, le curé Eustache Jean Précieux a été élu conseiller municipal et officier d’état civil de Lindry, ce qui lui a permis d’enregistrer encore pendant quelques mois les naissances, mariages et décès de la commune. Les administrés de Lindry ont pu ainsi s’habituer peu à peu à la nouvelle donne.

Le 24 juin 1793, la constitution de l’an I de la République a été adoptée à la Convention nationale. La chute de la monarchie, avec l’exécution du roi Louis XVI à Paris le 21 janvier précédent, avait divisé la Nation et provoqué une guerre civile, en pleine guerre opposant la France à l’Autriche. Le 6 juillet 1793, deux jeunes Lindrycois célibataires ont été tirés au sort pour aller rejoindre les gardes nationaux devant combattre les insurgés monarchistes de Vendée. C’est dans ce contexte martial et de suspicion générale qu’a été instauré en France le régime de la Terreur, le 17 septembre 1793. À Lindry, le maire Claude Joly s’est adapté à la nouvelle situation de manière symbolique : le 10 novembre 1793, il a fait brûler de vieux papiers féodaux au pied d’un arbre, désigné comme arbre de la Liberté.

La constitution républicaine de l’an I, adoptée le 24 juin 1793 et proclamée le 10 août suivant, a eu un impact direct sur la vie des Lindrycois. Elle leur a permis de se marier entre cousins germains sans en obtenir la permission du pape, ce qui coûtait fort cher et empêchait donc les paysans impécunieux de remembrer, par des mariages consanguins, des terres familiales dispersées par les héritages. Ils ont pu aussi divorcer et se remarier ensuite : le 12 mai 1794, le paysan Jean Louis Bougault, qui s’était marié en premières noces avec Geneviève Grisard le 21 janvier précédent et avait divorcé aussitôt, s’est uni en secondes noces à Catherine Houchot qui lui a donné neuf enfants. La constitution de l’an I a aussi modifié la vie des curés en France, comme nous le verrons dans le prochain Lindry-Communication

  

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 68 (octobre 2010)

   

17) LA RÉVOLUTION À LINDRY D’UNE CONSTITUTION À L’AUTRE

 

La première constitution française, ratifiée le 3 septembre 1791, avait instauré en France la monarchie constitutionnelle. La démocratie y reposait sur le suffrage censitaire, et les prêtres devaient tous prêter serment de fidélité au nouveau régime. Après la proclamation de la République le 22 septembre 1792, une nouvelle constitution, dite de l’an I, a été adoptée le 24 juin 1793 et proclamée le 10 août suivant. Favorable aux sans-culottes, elle créait le suffrage universel, réservé aux hommes, et mettait en place une nouvelle société libérée de la tutelle de l’Eglise, où les citoyens n’avaient de compte à rendre qu’à l’Etat. Cette nouvelle société, où étaient autorisés les mariages entre cousins germains, les divorces et les remariages, allait à l’encontre des principes religieux de l’Ancien Régime, mais elle répondait aux vœux d’une partie de la population. Les Lindrycois ont pu ralentir en effet le démembrement de leurs terres familiales, lors des partages après décès, par une nouvelle pratique matrimoniale qui multipliait les unions entre proches parents. Auparavant, de telles unions étaient rares chez les paysans.

Cette nouvelle donne a eu des effets jusqu’à nos jours. Tous les descendants actuels des couples créés selon les nouvelles lois sur le mariage, qu’ils soient issus d’une union entre cousins germains ou bien d’un remariage après divorce, sont des enfants de la Révolution ! Tous appartiennent à une lignée qui n’aurait jamais vu le jour dans le cadre juridique de l’Ancien Régime, où toutes les familles devaient respecter les principes moraux édictés par l’Eglise catholique. Parmi les enfants de la Révolution, on peut citer les nombreux descendants du second lit de Jean Louis Bougault, qui après avoir divorcé de Geneviève Grisard s’est vite remarié civilement, le 12 mai 1794, avec Catherine Houchot.

La nouvelle société instaurée par la constitution de l’an I était anticléricale. Après avoir remplacé les curés restés fidèles à l’Eglise de Rome, comme Claude Goin, ancien curé de Lindry, par des curés qui acceptaient de prêter serment à l’Etat, comme Eustache Jean Précieux, les révolutionnaires affiliés au parti politique des Montagnards, dirigé par Robespierre, ont fini par vouloir éradiquer le catholicisme en France. Le 11 février 1794, Eustache Jean Précieux a dû renoncer à ses vœux de prêtrise et quitter le presbytère de Lindry. Il a dû aussi abandonner son poste d’officier d’état civil ! Un mois après être devenu un simple citoyen, il s’est conformé à une nouvelle loi obligeant les anciens prêtres à prendre une épouse en convolant en justes noces, le 6 mars 1794 en la mairie de Lindry, à l’âge de quarante et un ans, avec une jeune Auxerroise de vingt-deux ans nommée Anne Bailly. L’ancien curé assermenté de Lindry est alors devenu employé au bureau du payeur général à Auxerre, donnant à sa femme une fille et deux garçons dont tous les descendants sont, eux aussi, des enfants de la Révolution.

Le régime de la Terreur s’est terminé le 24 juillet 1794 avec l’exécution de Robespierre. La fin subite des adeptes de la vertu révolutionnaire s’est vite accompagnée d’un recul de la démocratie en France. Une nouvelle constitution, dite de l’an III, a fini par être adoptée le 22 août 1795 et promulguée le 23 septembre suivant. Favorable à la bourgeoisie modérée, elle rétablissait le suffrage censitaire de 1791 et supprimait la fonction de maire partout en France. Dès lors, la commune de Lindry a été dirigée par un agent municipal, choisi pour deux ans par des grands électeurs et assisté d’un seul adjoint. Le tout premier agent municipal de Lindry a été l’ancien maire, Claude Joly. Celui-ci a eu pour adjoint Louis Masquin, élu le 8 novembre 1795, Jean Grimard, élu le 30 mars 1797, puis Louis Machavoine, élu le 22 septembre 1797. Ce dernier fera parler de lui dans le prochain Lindry-Communication

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 69 (décembre 2010)

 

18) LA RÉVOLUTION À LINDRY SOUS LE DIRECTOIRE

 

Elu maire de Lindry le 27 décembre 1791, sous le régime de la monarchie constitutionnelle consacré par la constitution du 3 septembre précédent, puis maintenu à ce poste sous le régime républicain des sans-culottes établi par la constitution du 24 juin 1793, Claude Joly était resté à la tête de la commune après l’adoption d’une troisième constitution le 22 août 1795, qui instaurait le régime républicain des bourgeois modérés et supprimait la fonction de maire élu. Nommé au poste d’agent municipal par les administrateurs du canton de Saint-Georges, dont dépendait à l’époque la commune de Lindry, il était assisté d’un seul adjoint, choisi par les notables de la commune. Il a eu pour adjoints successifs Louis Masquin, élu le 8 novembre 1795, Jean Grimard, élu le 30 mars 1797, puis Louis Machavoine, élu le 22 septembre 1797. Ce dernier était propriétaire foncier et résidait au hameau des Loups.

Claude Joly est mort à Lindry le 21 février 1798. Ce maréchal-ferrant du hameau du Champ-du-Puits avait su s’adapter à tous les aléas de la Révolution, sans faire de vagues. Son successeur n’a pas eu la même prudence. Le 23 février 1798, Louis Machavoine a été nommé agent municipal de Lindry par les administrateurs élus du canton de Saint-Georges, choix confirmé le 30 mars par l’assemblée des propriétaires fonciers de Lindry, qui ont désigné pour adjoint le tisserand Augustin Riollet.

Le nouvel agent municipal de Lindry s’est vite démarqué de son prédécesseur en refusant d’appliquer le calendrier républicain, qui faisait débuter le nouveau décompte des jours et des années à la date du 22 septembre 1792, devenue le 1er vendémiaire de l’an I. Ce nouveau calendrier, qui en réalité n’avait été instauré en France qu’un an plus tard, le 22 septembre 1793 ou 1er vendémiaire de l’an II, avait la particularité de suivre le rythme des saisons, avec ses trois mois d’automne (vendémiaire, brumaire et frimaire), ses trois mois d’hiver (nivôse, pluviôse et ventôse), ses trois mois de printemps (germinal, floréal et prairial) et ses trois mois d’été (messidor, thermidor et fructidor). L’année commençait non plus à la date arbitraire du 1er janvier mais à l’équinoxe d’automne, et les douze premiers mois étaient divisés en trois semaines de dix jours, appelées décades, dont le dixième jour, appelé décadi, était un jour chômé comme l’était le dimanche auparavant. L’année républicaine se terminait par un treizième mois entièrement chômé, qui n’était composé que de cinq à six jours complémentaires.

Louis Machavoine préférait l’ancien calendrier grégorien de son enfance, et toutes les anciennes fêtes religieuses que celui-ci comportait. En pleine période révolutionnaire anticléricale, cette hostilité à la nouvelle donne avait de quoi choquer. Le 11 octobre 1798, le nouvel agent municipal de Lindry a été accusé par Jean Cyrille Prosper Léonard Bachelet de Vaux-Moulins, alors commissaire du directoire exécutif du canton de Saint-Georges, d’être un « despote » dépravant les institutions républicaines en permettant aux « fanatiques » de Lindry de travailler chaque décadi, de fréquenter à nouveau l’église Sainte-Geneviève le dimanche et lors des fêtes religieuses de l'Ancien Régime, et de cacher chez eux des déserteurs et des conscrits réfractaires, désignés comme « volontaires » malgré eux.

La fin du Directoire a été marquée par un renforcement des cantons au détriment des communes. Les mariages, qui jusque là étaient célébrés en mairie, ont fini par être conclus, en l’an VII et l’an VIII, au chef-lieu de canton, ceci le jour chômé du décadi. Du 20 novembre 1798 au 19 février 1800, quatorze couples de Lindry ont donc été mariés à Saint-Georges. Cette ébauche de centralisation cantonale n’a pas survécu cependant au coup d’Etat du 18 Brumaire, comme on le verra dans le prochain numéro…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 70 (mai 2011)

 

Bonaparte 1er consul Jean-Auguste Ingres
Bonaparte 1er consul Jean-Auguste Ingres

19) L’ÈRE NAPOLÉONIENNE SOUS LE CONSULAT

 

Le 9 novembre 1799, par le coup d’Etat du 18 brumaire de l’an VIII, le général Napoléon Bonaparte, de retour d’Egypte, a mis un terme à la période révolutionnaire en France. Pendant les onze années de la Révolution, de 1789 à 1799, la commune de Lindry avait connu un redressement démographique très net, qui tranchait radicalement avec le marasme observé sous le règne de Louis XVI. Le nombre accru des mariages et des naissances à Lindry sous la Révolution et la baisse concomitante des décès étaient le reflet, probablement, de l’adhésion massive des Lindrycois au renouveau du pays.

Les quinze années de l’épopée napoléonienne, en revanche, ont été marquées à Lindry par un retour subit au marasme démographique. Les guerres offensives à outrance menées en Europe par Napoléon Bonaparte jusqu’en 1815 n’ont pas favorisé, nulle part en France, les mariages et les naissances, tout en élevant le nombre des décès. La population de Lindry a décliné comme partout ailleurs.

Quand Napoléon Bonaparte a pris le pouvoir le 9 novembre 1799, Louis Machavoine avait été évincé depuis peu par son adjoint Augustin Riollet au poste d’agent municipal de Lindry. Cette passation de pouvoir à la tête de la commune s’était effectuée entre le 28 août et le 13 septembre 1799. Le nouvel adjoint de Lindry était Georges Barbe, cultivateur et propriétaire au hameau du Fonteny.

Une nouvelle constitution, dite de l’an VIII, a été promulguée dès le 25 décembre 1799 et ratifiée par plébiscite le 7 février 1800. Elle a supprimé, entre autres mesures, le rôle administratif des cantons en France, réduits désormais à de simples circonscriptions électorales. Dès lors, les mariages civils ont cessé d’être célébrés à la mairie des chefs-lieux de canton, mettant fin au projet du Directoire de créer un jour de grosses communes cantonales par la fusion des petites communes d’origine paroissiale. Le dernier mariage d’un couple de Lindry à Saint-Georges a donc eu lieu le 19 février 1800.

Le canton de Saint-Georges a ensuite été supprimé. Sur les huit communes qui la composaient, seule la commune de Lindry a été détachée de l’Auxerrois : elle a rejoint en effet le périmètre de la Puisaye en intégrant le canton de Toucy, tandis que les sept autres localités, Appoigny, Charbuy, Chevannes, Monéteau, Perrigny, Saint-Georges et Villefargeau, ont été maintenues dans la proximité immédiate du chef-lieu de l’Yonne, étant rattachées quant à elles au nouveau canton d’Auxerre-ouest.

La constitution de l’an VIII a aussi rétabli le titre de maire partout en France. Le premier magistrat de chaque commune, cependant, n’était plus élu par le peuple comme au début de la Révolution : il était désormais désigné par le préfet sur une liste de notables bonapartistes. Le nouvel agent municipal de Lindry, Augustin Riollet, devait donc céder la place à un maire non révolutionnaire. En attendant que soit appliquée la nouvelle constitution à Lindry, son adjoint Georges Barbe a signé le 27 février 1800 un acte de divorce qui séparait le cordonnier Charles Sergent de son épouse Marie Méline. Augustin Riollet a quitté son poste peu après, signant son dernier acte d’état civil le 30 avril 1800.

Le nouveau maire de Lindry, choisi par le préfet de l’Yonne, a signé son premier acte d’état civil le 3 mai 1800. Il s’agissait de Jean François Favot, juge et ancien notaire. Rallié à Napoléon Bonaparte, il est resté en fonction à Lindry pendant toute la période du Consulat puis du Premier Empire. En 1801, sous le Consulat, il a fait planter à Lindry jusqu’à trentre-trois arbres de la liberté, ceci en criant avec la foule « vive la République ou la mort ! ». Cette profession de foi républicaine ne l’a point empêché de soutenir ensuite l’Empire napoléonien, comme nous le verrons dans le prochain numéro…

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 71 (septembre 2011)

 

20) L’ÈRE NAPOLÉONIENNE SOUS L'EMPIRE

 

Le 3 mai 1800, sous le Consulat, un maire bonapartiste avait été placé par le préfet de l’Yonne à la tête de la commune de Lindry : Jean François Favot. Né le 3 avril 1756 à Charbuy, ce fils de vigneron était devenu notaire après avoir épousé, le 3 juin 1783 à Lindry, Marie Louise Rollin, fille du notaire royal au bailliage des Houches. En 1792, il était devenu en outre juge de paix du canton de Saint-Georges, prenant ainsi une part active à la mise en place d’une administration républicaine en France.

En 1801, le nouveau maire de Lindry était encore républicain : lors de l’inauguration des trente-trois arbres de la Liberté qu’il avait fait planter à Lindry, il n’avait pas hésité à crier devant la foule « vive la République ou la mort ! ». Il a toutefois renoncé à la mort lorsque la République a été abolie avec la promulgation, le 4 août 1802, de la constitution de l’an X qui faisait de Napoléon Bonaparte un consul à vie. Il a même survécu à une nouvelle constitution, dite de l’an XII, qui a été promulguée le 18 mai 1804 et qui conférait à Napoléon Bonaparte le titre, pharaonique, d’empereur des Français.

Le nouvel empereur, sous le Consulat, avait rétabli la paix religieuse en France. Un concordat avait été signé avec le Saint-Siège le 16 juillet 1801, qui restaurait la liberté de culte dans le pays. À Lindry, le nouveau maire avait devancé le Premier Consul : il avait laissé revenir dans sa commune l’ancien curé Claude Goin, qui avait dirigé la paroisse de 1785 au 16 avril 1791 et qui, le 31 mai 1801, un mois et demi avant la signature du concordat, a repris en mains la cure de Lindry en baptisant un nouveau-né nommé Edme Ozibon. À cette occasion, le curé Claude Goin a ouvert une nouvelle série de registres paroissiaux, distincts des registres d’état civil. Ce restaurateur du culte catholique à Lindry a fini par quitter sa paroisse un an plus tard, après avoir baptisé un dernier nourrisson le 9 mai 1802.

Si au début du Premier Empire la paix intérieure était rétablie, la guerre était sur le point d’éclater de nouveau et de plus belle à l’extérieur des frontières nationales. Le sacre de Napoléon Bonaparte, le 2 décembre 1804 à Notre-Dame de Paris, en présence du pape Pie VII, a provoqué en effet l’ire de tous les dynastes d’Europe. Pour faire face au futur conflit, le nouvel empereur a créé, par un décret du 29 décembre 1804, des conseils de révision chargés d’écarter du service militaire tous les conscrits qui n’atteindraient pas la taille minimale d’un mètre et 544 millimètres, à charge pour les sous-préfets de tirer ensuite au sort, parmi les autres conscrits, tous ceux qui partiraient comme soldats.

De 1805 à 1814, la commune de Lindry a fourni 97 conscrits, dont 49 ont été recrutés dans les armées impériales. Sur les 49 soldats partis de Lindry, seuls 23 ont fini par revenir dans leurs foyers à l’issue des guerres de l’Empire. Les pertes ont été les plus nombreuses en 1808, 1809, 1811 et 1812.

Le 3 février 1814, la France étant envahie par les armées ennemies coalisées, le maire Jean François Favot a pris l’initiative de mobiliser les Lindrycois pour défendre la commune. Il est parvenu à mettre sur pied une fière garde territoriale de 160 fusiliers, dirigés par un capitaine, un capitaine en second, un lieutenant, un sous-lieutenant, un sergent-major, quatre sergents, neuf caporaux et un tambour. Ce bel étalage de force n’a servi à rien : dès le 25 septembre 1814, le corps municipal de Lindry au grand complet a juré fidélité au roi Louis XVIII, revenu d’exil. Le 11 juin 1815, pendant les Cent-Jours, le maire et son adjoint ont été les seuls édiles de la commune à jurer fidélité à l’empereur déchu.

Dans le prochain numéro de Lindry-Communication, nous reviendrons sur les conscrits de Lindry nés de 1779 à 1795 qui ont participé, de 1799 à 1815, aux guerres sanglantes du Consulat et de l’Empire.

 

Pierre LE CLERCQ

Lindry-Communication n° 73 (avril 2012)