Les soldats icaunais d'Amérique du Nord de 1755 à 1760

 

par Pierre Le Clercq (S.G.Y.)

  

première partie

   

  

       Pendant plusieurs mois, j’ai participé avec de nombreux autres généalogistes à une vaste campagne de recherches intitulée le Projet Montcalm, organisée par les deux fédérations française et québécoise de généalogie et planifiée en France par madame Mireille Pailleux. Il s’agissait pour moi de retrouver les actes de baptême, dans l’Yonne, des soldats icaunais qui pendant la guerre de Sept ans avaient été envoyés en Amérique du Nord pour y combattre les Anglais de 1755 à 1760. Parmi les cinquante-cinq cas qui m’ont été soumis, j’ai pu prouver que trente-cinq soldats étaient bel et bien originaires de l’Yonne, soit près de 64% de la liste initiale. Il s’agit là d’un bon résultat puisque, à l’échelle de la France entière, on n’a pu retrouver les actes de baptême que de 20%, environ, des sept mille cinq cents soldats français partis défendre le Canada au milieu du XVIIIe siècle, face aux troupes britanniques. Le fruit de toutes ces recherches sera mis à la disposition du public dans un gros ouvrage intitulé « Combattre pour la France en Amérique », dont la parution a été fixée au 11 septembre 2009 au Québec puis au 1er octobre 2009 dans notre pays, ceci pour commémorer le 250e anniversaire de la bataille des plaines d’Abraham.

 

LES SOLDATS COLONIAUX

 

       Depuis 1685, la Nouvelle-France était défendue par des compagnies franches de la Marine, envoyées par le ministre de la Marine et des Colonies et placées sous les ordres directs du gouverneur général du Canada. Ces compagnies n’étaient pas regroupées en régiments. Indépendantes les unes des autres, elles étaient formées de cinquante soldats français engagés pour six ans, logés chez l’habitant et dirigés par un capitaine qui ne recevait point ses ordres d’un colonel mais directement du gouverneur général. Au bout de ces six années de service militaire, chaque soldat pouvait soit retourner en France, soit faire souche en Amérique du Nord en prenant une Canadienne pour épouse. Huit soldats icaunais sont restés au Canada :

 

BARBIER Pierre : Baptisé le 24 novembre 1716 en l’église Saint-Maurice à Sens, il était fils du marinier Pierre Barbier et de Marie Françoise Hurtault, alias Retaux. Ses parrain et marraine étaient le marinier Claude Leduc et Madeleine Espoigny. Enrôlé dans les troupes coloniales de la Marine, sous le surnom militaire de Lafredaine, il a été affecté au Canada à la compagnie franche du capitaine canadien Frédéric Louis Herbin, baptisé le 25 novembre 1711 en l’église Notre-Dame à Montréal et capitaine depuis le 15 février 1748. Le soldat icaunais Pierre Barbier s’est marié à Montréal le 14 avril 1749, à l’âge de trente-deux ans, avec Marie Thérèse Pineau dit La Perle, née et baptisée le 3 juillet 1724 à Repentigny, au Canada, qui était fille de Mathurin Pineau dit La Perle et de Marguerite Denvers. Il a eu neuf enfants de son épouse, laquelle était enceinte de lui depuis huit mois le jour du mariage. Après la prise de Montréal par les Anglais, le 8 septembre 1760, il a fait partie des Français qui sont restés au Canada. Il y est mort le 25 août 1768, à Saint-Constant, où il a été enterré le jour suivant. Il avait cinquante et un ans le jour de son décès. Sa veuve s’est alors remariée à Saint-Constant le 14 novembre 1769 avec Joseph Jasmin, veuf quant à lui d’Angélique Demarais. Elle était toujours en vie en 1789.

 

BARTHÉLEMY Jean Antoine : Né le 3 octobre 1714 à Sens, où il a été baptisé le même jour en l’église Saint-Maximin, il était fils d’un maître menuisier nommé Jean Barthélemy et de Marie Suzanne Regnard, unis en ladite église Saint-Maximin le 3 février 1705. Ses parrain et marraine étaient le maître sellier Antoine Regnier et une femme qui s’appelait Elisabeth Fleurichon. Parti au Canada pour servir au sein des troupes coloniales de la Marine, sous le surnom militaire de Saint-Antoine, il y a été affecté à la compagnie franche d’un capitaine canadien nommé Claude Antoine de Bermen de La Martinière, né le 12 juillet 1700 à Québec et devenu capitaine en l’an 1743. Le 25 janvier 1745, à Québec, Jean Antoine Barthélemy a épousé une jeune Canadienne qui s’appelait Marie Josèphe Rouillard, née à Québec le 8 juin 1720, veuve du navigateur Augustin Lainé dit Briard, avec qui elle s’était unie le 3 octobre 1740 en ladite ville de Québec, et fille de Michel Rouillard et de Françoise Rainfray dit Malouin. Un contrat de mariage avait été signé entre les conjoints une semaine plus tôt, ceci le 17 janvier 1745 chez maître Jacques Pinguet de Vaucour, notaire à Québec. Tout en poursuivant son activité militaire au sein des troupes coloniales de la Marine, Jean Antoine Barthélemy s’est mis aussi à travailler au Canada comme tourneur et « poulieur » pour le roi. Le 14 octobre 1746, avec sa jeune conjointe, il a fait établir par maître Gilbert Boucault de Godefus, notaire en ladite ville de Québec, une procuration à l’ordre d’un capitaine de bateau nommé Beaudouin. Après la mort précoce de sa femme, inhumée à Québec le 18 juillet 1747, il a fait dresser par ledit Gilbert Boucault de Godefus, dès le lendemain des obsèques, l’inventaire des biens de la défunte, puis, le 24 juillet suivant, il a fait établir par le même notaire canadien le procès-verbal de ses propres biens. Il n’a point survécu longtemps à sa défunte épouse. Il est mort en effet un mois après elle à l’hôtel-Dieu de Québec, où il a été enterré le 19 août 1747 à l’âge de trente-deux ans.

 

COULON Jacques Edmé : Né le 16 novembre 1726 à Crain, où il a été baptisé le lendemain en l’église Saint-Etienne, il était fils du meunier Edmé Coulon et de son épouse Geneviève Moreau, mariés en ladite église Saint-Etienne le 30 janvier 1725. Ses parrain et marraine étaient le marguillier Jacques Moreau et la veuve de Claude Paulmier, nommée Agathe Drillon. Son père, natif de Billy-sur-Oisy dans la Nièvre, avait été uni en premières noces à Marie Lamême, qu’il avait épousée le 15 février 1706 en l’église de Coulanges-sur-Yonne. Arrivé au Canada comme simple soldat dans les troupes coloniales de la Marine, ceci sous le surnom militaire de Davignon, Jacques Edmé Coulon a fini par se marier en premières noces, le 18 février 1760 à Saint-Constant, avec une jeune Canadienne nommée Marie Josephte Beaudin, née le 9 mars 1737 à Laprairie et fille de Michel Beaudin et de Marie Françoise Dupuis. Un contrat de mariage avait été signé entre les conjoints deux jours plus tôt, devant maître Joseph Lalanne, notaire à La Prairie de Montréal. Devenu maître farinier, il a eu de sa première femme sept enfants, nés de 1761 à 1775. Après le décès de son épouse, qui a rendu l’âme le 23 février 1777 à Saint-Philippe-de-la-Prairie, il n’a pas tardé à se remarier. Le 19 octobre 1778, en effet, il s’est uni en secondes noces en l’église de Pointe-Claire avec une autre Canadienne qui s’appelait Marie Josephte Larivière, née le 9 octobre 1738 à Sainte-Anne-de-Bellevue, veuve quant à elle de Joseph Souchereau dit Langoumois et fille de René Larivière et de Marie Françoise Diel. Il a eu deux autres enfants de sa nouvelle conjointe, l’un né en 1778 avant les noces et le second en 1779. Il a fini par mourir à son tour, à l’âge de soixante-neuf ans, et son corps a été inhumé le 12 août 1796 à Vaudreuil, au Canada.

 

DESERIN Cot Godefroy : Né le 3 décembre 1714 à Saint-Bris-le-Vineux, où il a été baptisé le lendemain en l’église Saint-Prix-et-Saint-Cot, ceci sous le prénom unique de Cot, il était fils du vigneron Pierre Deserin et de Barbe Rousseau, unis en ladite église le 29 octobre 1704. Ses parrain et marraine étaient Cot Besson et Geneviève Taboué. Parti au Canada pour servir dans les troupes coloniales de la Marine, sous le surnom militaire de Sans-Crainte, il a fini par être affecté à la compagnie franche du capitaine canadien Daniel Hyacinthe Marie Liénard de Beaujeu, né à Montréal le 19 août 1711 et capitaine depuis 1749. Devenu caporal dans cette compagnie, Cot Godefroy Deserin s’est marié le 21 juillet 1749, à Québec, avec une Canadienne qui s’appelait Marie Françoise Gadiou, née à Québec le 29 juin 1722, fille d’un certain Jean-Baptiste Gadiou, dit Saint-Louis, et de Marie Josephte Duret. Il avait signé un contrat de mariage avec elle deux jours plus tôt, devant maître Gilbert Boucault de Godefus, notaire à Québec. On ne sait ce qu’il est advenu de lui par la suite. Sans doute est-il allé rejoindre son capitaine au fort Niagara, non loin de Youngstown aux Etats-Unis. En décembre 1749, le capitaine en question, devenu commandant dudit fort le 5 juillet précédent, a écrit une lettre au marquis Jacques Pierre de Taffanel de La Jonquière, gouverneur de la Nouvelle-France, pour se plaindre que la garnison qu’il commandait n’était composée que d’anciens ivrognes de Montréal, incapables d’entretenir un fort qui ressemblait à un parc à vaches et menaçait de crouler dans les eaux glacées du lac Ontario. Ce capitaine est connu dans l’histoire du Canada pour avoir été tué au début de la bataille de Monongahela, livrée le 9 juillet 1755 en Pennsylvanie, au cours de laquelle un simple détachement de cent soldats français des troupes coloniales de la Marine, de cent miliciens canadiens et de quelque six cents guerriers amérindiens, placés sous les ordres dudit capitaine, ont vaincu une grosse armée d’invasion formée de quinze cents soldats réguliers britanniques et de plusieurs centaines de miliciens américains, dont George Washington. On ne sait si le caporal icaunais Cot Godefroy Deserin a participé à cette victoire française.

 

GUÉNIER André : Né le 5 juin 1727 à Auxerre, où il a été baptisé le même jour en l’église Saint-Gervais, il était fils de Gervais Guénier, vigneron résidant au hameau de Laborde à Auxerre, et de Madeleine Jacob, mariés le 24 avril 1714 en l’église de Venoy, non loin d’Auxerre. Ses parrain et marraine étaient André Mamelin, serviteur domestique de ses père et mère, et Brigitte Ségueneau, fille du laboureur auxerrois Jacques Ségueneau. Son père, né vers 1695 à Venoy, a été inhumé à Auxerre le 5 avril 1735, après des obsèques officiées le même jour en l’église Saint-Gervais. Sa mère, née vers 1687 en ladite ville d’Auxerre, y est morte le 2 février 1755 et y a été enterrée le lendemain, après des funérailles célébrées en la même église que son époux. En 1749, à l’âge de vingt-deux ans, le jeune André Guénier s’est engagé au sein des troupes coloniales françaises de la Marine, où il a reçu le surnom militaire de Bourguignon. Aussitôt envoyé au Canada, il a fini par être affecté comme simple soldat à la compagnie franche d’un capitaine canadien de son âge nommé Charles Deschamps de Boishébert, né à Québec le 2 février 1727 et promu capitaine le 17 mars 1756, pendant la guerre de Sept ans. Le jeune soldat icaunais servait toujours dans cette même compagnie quand le 28 octobre 1757, en l’étude de maître Simon Sanguinet, notaire à Québec, il a fait établir un acte de notoriété certifiant qu’il était bien célibataire, avec comme témoins le caporal Philippe Guillemin, natif de la ville d’Issoudun dans le Berry, et le soldat Louis Quartier, natif de Lyon, appartenant eux aussi à la compagnie du capitaine de Boishébert. Muni de cet acte de notoriété, il a pu se marier le 8 novembre 1757, en l’église de Charlesbourg au Canada, avec une femme de presque vingt et un ans qu’il avait engrossée huit mois plus tôt, nommée Marie Charlotte Jean dit Godon, née et baptisée audit lieu de Charlesbourg le 20 décembre 1736, fille de Charles Jean dit Godon et de Marie Elisabeth Maignan. Un contrat de mariage avait été signé deux jours plus tôt devant ledit Simon Sanguinet, notaire à Québec. Après la prise de Montréal par les Anglais, le 8 septembre 1760, André Guénier a fait partie des Français qui sont restés au Canada. Il a eu quatorze enfants de son épouse, nés en Amérique du Nord de 1757 à 1781.

 

GUÉRIN Etienne : Né le 7 février 1713 à Epineuil, où il a été baptisé le jour suivant en l’église Saint-Etienne, il était fils du vigneron et tonnelier Pierre Guérin et de son épouse Marguerite Rigolley, unis en ladite église d’Epineuil le 16 février 1699. Ses parrain et marraine étaient un vigneron d’Epineuil qui s’appelait Etienne Jacquillat et Françoise Boulachin. Parti au Canada pour servir dans les troupes coloniales de la Marine, sous le surnom militaire de Saint-Etienne, le jeune Etienne Guérin a aussitôt rejoint comme soldat la compagnie franche du capitaine canadien Daniel Migeon de La Gauchetière, baptisé le 6 août 1671 à Montréal et capitaine depuis 1726. Il était toujours affecté à cette compagnie lorsque le 25 novembre 1743, à Montréal, il s’est marié avec une jeune Canadienne de dix-sept ans nommée Marie Françoise Agathe Séguin dit Ladéroute, née à Chambly le 17 juin 1726, fille de Jean-Baptiste Séguin dit Ladéroute et de Geneviève Barbeau dit Boisdoré. Deux jours plus tôt, un contrat de mariage avait été signé entre les futurs époux devant maître François Simonnet, notaire à Boucherville. Le 3 mai 1746, le capitaine Daniel Migeon de La Gauchetière est mort noyé sur l’île de Montréal. Le soldat icaunais Etienne Guérin semble alors avoir quitté l’armée pour entreprendre l’activité de boulanger et de commerçant au lac des Deux-Montagnes. Il a eu de son épouse au moins trois enfants, tous nés de 1748 à 1754 à Oka. Son destin ultérieur reste inconnu.

 

GUYARD Jean-Baptiste : Né vers 1719 en un lieu encore inconnu, ni à Cheny ni à Seignelay, il était fils de maître Jean-Baptiste Guyard, notaire établi à Cheny dans le marquisat de Seignelay, et d’Anne Gigon, mariés à Seignelay le 9 janvier 1719. Si son père était natif de Cheny, sa mère était originaire de Paris. Vers 1739, le jeune Jean-Baptiste Guyard est parti au Canada pour y servir dans les troupes coloniales françaises de la Marine. Il y a été affecté comme soldat à la compagnie franche du vieux capitaine canadien Daniel Migeon de La Gauchetière, baptisé le 6 août 1671 en l’église Notre-Dame à Montréal et capitaine depuis 1726. Il servait toujours dans cette compagnie quand le 7 janvier 1740, en ladite ville de Montréal, il a épousé une Canadienne qu’il avait engrossée huit mois plus tôt, Elisabeth Jobin, baptisée le 22 janvier 1713 à Montréal et fille de François Jobin, maître forgeron et taillandier, et de Suzanne Jousset. Il avait signé avec elle, la veille, un contrat de mariage rédigé par maître François Simonnet, notaire à Boucherville. Six enfants au moins sont nés de cette union, venus au monde de 1740 à 1752. Dès l’an 1741, Jean-Baptiste Guyard s’est mis à travailler comme huissier royal à Montréal. En 1752, il résidait à Québec où il occupait une charge d’officier au recouvrement des deniers du roi en l’élection de Paris. Le 8 janvier 1754, à l’âge de trente-cinq ans environ, il est devenu notaire des paroisses de la côte nord du gouvernement de Québec, couvrant toute la zone côtière allant de La Pointe-aux-Trembles à Sainte-Anne-de-la-Pérade. Puis un mois et demi plus tard, le 20 février 1754, il a été nommé par Pierre Tarrieu de La Pérade juge seigneurial de ladite paroisse de Sainte-Anne-de-la-Pérade. Il a ensuite accru son champ d’action en devenant en outre, le 21 octobre 1755, notaire des paroisses de la côte sud du gouvernement de Québec, de Saint-Nicolas à Lotbinière, puis, le 12 avril 1758, notaire de la paroisse de Saint-Augustin. Après la prise de la ville de Québec par les Anglais, le 17 septembre 1759, suivie de la capitulation de Montréal le 8 septembre 1760, il a dû composer avec les vainqueurs pour continuer sa tâche notariale. Le 29 décembre 1760, il a été confirmé au poste de notaire par le général écossais James Murray, gouverneur du district militaire britannique de Québec, qui lui a attribué le notariat de la côte nord, ceci de Cap-Santé jusqu’à Grondines, et de la côte sud, juste en face de Cap-Santé. Il a fini cependant par rentrer en France en 1761, où il est devenu écuyer, baron de Fleury et brigadier. De retour au Canada, il n’a pas tardé à se faire nommer, le 3 novembre 1767, notaire en la ville de Québec. Veuf de sa première femme, il s’est marié en secondes noces, le 17 août 1789 en l’église Saint-Henri de Mascouche, avec une Canadienne nommée Marie Thérèse Sévigny dit Lafleur, née le 19 avril 1742 à Neuville, fille des défunts Antoine Sévigny dit Lafleur et de Marie Françoise Béland, qui était veuve d’abord de Pierre François Henri Caron de Caquerez puis de Pierre Dauphin. Un contrat de mariage avait été signé le 6 août 1789 devant maître Raymond, notaire établi à Montréal. À l’époque, Jean-Baptiste Guyard de Fleury était officier et commandant de garnison. En raison de son âge déjà avancé, il a déposé deux jours à peine après ses noces, le 19 août 1789, un testament en l’étude dudit maître Raymond, notaire à Montréal. Il est mort neuf ans plus tard, le 29 juin 1798 à L'Assomption, au Canada.

 

MEIGNIEN Philbert : Né le 3 novembre 1716 à Vaumort, où le jour suivant il a été baptisé en l’église Saint-Jean-Baptiste, il était fils de Nicolas Meignien, manouvrier, et d’Edmée Masline, mariés en la même église de Vaumort le 15 janvier 1704. Ses parrain et marraine étaient Philbert Colson et Anne Cueillier, fille de Pierre Cueillier. Parti au Canada pour y servir comme soldat dans les troupes coloniales françaises de la Marine, Philbert Meignien a fini par y épouser, le 17 février 1760 en l’église de Chambly, une femme nommée Marie Marthe Poyer, veuve d’un certain Jean Monty qui lui avait donné au moins cinq enfants. En 1779, l’ancien soldat icaunais résidait toujours à Chambly avec sa conjointe et exerçait l’activité de maître tailleur d’habits. Au Canada, il est souvent désigné sous les noms de Menier ou Meunier. Comme il n’a pas eu de postérité, personne ne s’est attaché à ce jour à rectifier cette erreur.

 

LA GUERRE DE SEPT ANS

 

       Sur les huit soldats coloniaux qui viennent d’être présentés, six étaient toujours en vie en 1754, un était déjà mort à cette date et un autre avait disparu. La majeure partie de ces Icaunais ayant servi au Canada dans les troupes coloniales françaises de la Marine ont donc vécu, outre-Atlantique, le début de la guerre de Sept ans.

 

LES PREMIÈRES ESCARMOUCHES

  

       Les prémices de ce vaste conflit européen se sont déroulées en Amérique du Nord, avec pour toile de fond la vallée de l’Ohio que convoitaient les Français mais aussi les Anglais. Cette vallée, en effet, se trouvait au croisement de deux chemins, l’un permettant aux Français de relier le Canada à la vallée du Mississippi menant jusqu’en Louisiane, et le second permettant aux Anglais de relier leurs colonies du littoral atlantique à la baie d’Hudson. Les Français avaient pris de l’avance sur leurs voisins britanniques en bâtissant plusieurs forts dans la vallée de l’Ohio, à savoir les forts de Niagara, de Détroit, de Vincennes et de l’île de Mackinac qui confinaient les Anglais à l’est des Appalaches. Pour renforcer ce dispositif, le marquis Michel-Ange Duquesne de Menneville, gouverneur général du Canada, confia le 27 janvier 1754 au capitaine Claude Pierre Pécaudy de Contrecœur le commandement de six cents hommes, chargés d’aller bâtir au plus vite un nouveau fort à Chinangué.

       Le 16 avril 1754, ayant appris qu’un contingent de soldats britanniques était en train de bâtir un fort adverse au confluent de l’Ohio et de la rivière Monongahela, le commandant Claude Pierre Pécaudy de Contrecœur chargea le capitaine François Le Mercier d’aller prier les Anglais de quitter paisiblement les lieux, sous peine d’y être contraints par les armes et de porter l’entière responsabilité de la rupture de la paix entre la France et la Grande-Bretagne. Les Anglais ayant aussitôt obtempéré, les Français ont alors achevé la construction du fort britannique, sur le site même de la future ville américaine de Pittsburgh, bastion hautement stratégique qui a reçu le nom de fort Duquesne en l’honneur du gouverneur général du Canada.

       Outré par le repli des forces britanniques face à l’expansion française le long de la vallée de l’Ohio, le lieutenant-colonel américain George Washington ne tarda pas à réagir. À la tête de cent cinquante miliciens de Virginie, il quitta le 1er mai 1754 le poste militaire de Well’s Creek, dans le Tennessee, avec l’intention de reprendre par la force le fort Duquesne aux Français. Il dut toutefois y renoncer en constatant que la place était trop bien défendue, et il se contenta donc de bâtir un autre bastion aux Grandes-Prairies, qu’il baptisa le fort Necessity pour souligner qu’il était nécessaire d’affirmer les droits des colons américains sur toute la vallée de l’Ohio.

       Le 23 mai 1754, solidement implanté avec tous ses hommes au fort Duquesne, le commandant Claude Pierre Pécaudy de Contrecœur chargea le jeune enseigne Joseph Coulon de Jumonville d’aller patrouiller dans la région avec un détachement de trente-quatre soldats, avec pour mission d’inviter pacifiquement tout intrus venu des colonies britanniques à quitter paisiblement la vallée de l’Ohio, afin d’éviter le recours à une action militaire plus musclée. Le lieutenant-colonel américain George Washington fut bientôt alerté par des Amérindiens ralliés à la cause américaine que des soldats français s’étaient arrêtés le 27 mai 1754 dans une gorge pour y camper la nuit, sans poster de sentinelles. Dès le lendemain, au lever du jour, il cerna donc avec une quarantaine de miliciens virginiens le camp des soldats français endormis, ordonnant d’ouvrir le feu sur eux dès leur réveil, ceci sans les sommations d’usage en temps de paix. Treize Français furent tués en un quart d’heure de fusillade, dont le jeune enseigne Joseph Coulon de Jumonville qui avait tenté de s’interposer, et vingt et un soldats furent capturés puis envoyés comme prisonniers à Williamsburg, en Virginie. Un seul homme put s’échapper et alerter le fort Duquesne.

     Cette escarmouche du 28 mai 1754, connue sous le nom de « guet-apens de la Gorge de Jumonville », ouvrit aussitôt les hostilités entre Canadiens et Américains, bien avant le déclenchement de la Guerre de Sept ans en Europe. Pour venger la mort de son frère, l’officier Louis Coulon de Villiers se fit donner par Claude Pierre Pécaudy de Contrecœur le commandement d’un bataillon de sept cents hommes, formé de cents soldats français des troupes coloniales de la Marine et de six cents guerriers amérindiens, et le 3 juillet 1754, secondé par un capitaine expérimenté, à savoir François Le Mercier, il s’empara au bout de dix heures de combat acharné du fort Necessity défendu par George Washington. Ce dernier, pour éviter la pendaison pour avoir tué un officier français en temps de paix, signa un acte de capitulation par lequel il reconnaissait la souveraineté du roi de France sur toute la vallée de l’Ohio. Renvoyé avec ses hommes en Virginie, il finit par démissionner de l’armée.

                                 

LES FORCES EN PRÉSENCE

 

       En 1754, après la défaite de George Washington à la bataille du fort Necessity, les colonies britanniques en Amérique du Nord, qui abritaient un million deux cent mille colons, restaient cloîtrées à l’est de la chaîne des Appalaches, tout le long des côtes de l’Atlantique. La Nouvelle-France, en revanche, couvrait un vaste territoire, englobant les vallées du Saint-Laurent, de l’Ohio et du Mississippi, de la Gaspésie jusqu’en Louisiane, mais elle n’était peuplée que de soixante-treize mille colons, ce qui ne représentait au mieux qu’un seizième de la population qui s’était développée dans l’ensemble des colonies britanniques s’étalant le long du littoral.

       Pour pallier leur infériorité numérique sur le continent nord-américain, les colons français avaient réussi toutefois à tisser des liens étroits avec la plupart des nations amérindiennes, puisant dans chacune d’elles de nombreux guerriers qui, à chaque conflit, venaient appuyer leurs soldats et miliciens. Contrairement aux Britanniques, qui chassaient les Amérindiens de leurs terres ancestrales pour y créer des fermes, les Français se contentaient de contrôler les terres amérindiennes pour s’y réserver un monopole commercial. Dans le nord, face au Canada, les Britanniques n’avaient pour alliés que les Iroquois, ennemis traditionnels des Français. Dans le sud, face à la Louisiane, ils pouvaient compter sur des nations amérindiennes qu’ils n’avaient pas encore spoliées, à savoir les Chéraquis, les Crics et les Chicachas. Ils avaient renforcé en revanche les Français en chassant de Pennsylvanie, en 1751, les trois nations amérindiennes des Loups, des Mingos et des Wyandots, qui ont pu trouver refuge dans la vallée de l’Ohio, sous le protectorat de la France.

       Si les Français avaient réussi à rallier à leur cause la plupart des Amérindiens, dont les puissants Chactas protégeant la Louisiane, ils firent en sorte également de développer en Amérique du Nord leur propre puissance militaire, en augmentant le nombre de soldats affectés aux troupes coloniales de la Marine. C’est ainsi que les huit Icaunais qui ont été présentés ci-avant sont arrivés au Canada, comme soldats servant sur place dans des compagnies franches. Paradoxalement, il y avait plus de soldats réguliers en Nouvelle-France, au début de l’an 1754, que dans les colonies britanniques occupant le littoral oriental du continent nord-américain. Le contingent britannique le plus important se trouvait en Nouvelle-Ecosse, avec seulement mille cinq cents fantassins et officiers chargés de s’opposer à une éventuelle reconquête de l’Acadie par les Français. Toutes les autres colonies britanniques réunies avaient pour seul rempart militaire cinq cent cinquante soldats, répartis dans des garnisons frontalières situées dans l’Etat de New York et en Caroline du Sud.

       Face aux quelque deux mille cinquante fantassins britanniques, auxquels sont venus s’ajouter, au début de l’an 1754, deux cent cinquante chasseurs à cheval et artilleurs placés en garnison en Nouvelle-Ecosse, les Français pouvaient aligner en Amérique du Nord jusqu’à quatre mille sept cents soldats coloniaux, encadrés par trois cents officiers. Ces soldats étaient au nombre de mille deux cents dans ce qui restait de l’Acadie française, de mille cinq cents au Canada et enfin de deux mille en Louisiane. L’implantation de ces militaires dans chaque région était la suivante :

       - Les mille deux cents soldats français protégeant les sept mille colons de l’île Royale, en Acadie, étaient presque tous placés en garnison à Louisbourg, mais il y avait aussi une petite garnison au fort Beauséjour, construit en 1750.

       - Les mille cinq cents soldats qui protégeaient les soixante mille colons résidant au Canada étaient postés à Québec, Trois-Rivières et Montréal, ainsi que dans des fortins situés à l’ouest de ces trois villes et défendus par une poignée d’hommes.

       - La moitié des deux mille soldats qui protégeaient les six mille colons peuplant la Louisiane était en poste à la Nouvelle-Orléans, qui n’abritait alors que trois mille habitants, un quart logeait à Mobile et le dernier quart était disséminé dans de petits forts bâtis le long du Mississippi, ceci du delta du fleuve jusqu’en Illinois.

       Outre tous ces fantassins, les Français disposaient aussi en Amérique du Nord d’une centaine d’artilleurs, et chaque paroisse de Nouvelle-France était dotée de sa propre compagnie de miliciens rassemblant tous les colons valides âgés de seize à soixante ans. Ces colons militarisés, habitués à la vie dans les bois et aux voyages épuisants en canots, à l’instar de leurs alliés amérindiens, représentaient une force de plusieurs milliers de miliciens, bien plus endurants et aguerris que les nombreux colons américains qui vivaient retranchés dans les colonies britanniques.

       Au début de 1754, la position des Français en Amérique du Nord était donc loin d’être désespérée. Les colons américains redoutaient tant l’expansion française en Amérique du Nord, confirmée par la défaite de George Washington, qu’ils exigèrent une présence militaire britannique beaucoup plus importante sur leur sol que celle dont ils bénéficiaient jusque lors, apte à conquérir toute la vallée de l’Ohio.

 

LES PREMIERS RENFORTS

  

       Le roi d’Angleterre Georges II de Brunswick-Lünebourg ne tarda pas à apporter satisfaction à ses sujets américains en colère. À la fin de 1754, il confia au général écossais Edward Braddock le commandement de deux régiments d’infanterie qui se composaient de sept cents hommes chacun. Ces deux régiments, partis d’Irlande et équipés d’artillerie de campagne, débarquèrent en Virginie le 19 février 1755. Le roi d’Angleterre autorisa également ses sujets américains à lever sur place deux autres régiments d’infanterie, à ses frais, regroupant chacun mille soldats. Cette armée de trois mille cinq cents hommes devait affaiblir la Nouvelle-France en s’emparant de la vallée de l’Ohio et des avant-postes français en Acadie et sur les Grands Lacs.

       En réponse à cette menace, alors que la France et la Grande-Bretagne étaient toujours en paix officiellement, le roi de France Louis XV de Bourbon s’empressa de promouvoir le baron saxon Jean Armand de Dieskau au grade militaire de maréchal de camp, le 20 février 1755, le chargeant le 1er mars suivant de défendre l’Acadie et le Canada à la tête de six bataillons français. Ceux-ci, puisés dans les six régiments d’infanterie de la Reine, de Bourgogne, de Guyenne, du Languedoc, d’Artois et du Béarn, étaient composés chacun de cinq cent vingt-cinq soldats dirigés par trente et un officiers, qui étaient répartis en douze compagnies de fusiliers et une compagnie de grenadiers. Sur les trois mille cent cinquante soldats et les cent quatre-vingt six officiers placés sous les ordres du baron Jean Armand de Dieskau, on dénombrait vingt-deux Icaunais au moins, qui servaient dans les bataillons suivants :

- Aucun Icaunais dans le bataillon issu du régiment du Béarn.

- Un seul Icaunais dans le bataillon issu du régiment de la Reine, à savoir le soldat Claude Olivier Blénon.

- Un Icaunais dans le bataillon issu du régiment du Languedoc, à savoir le soldat Nicolas Tardy.

- Deux Icaunais dans le bataillon issu du régiment de Guyenne, à savoir les soldats Jean Louis Dan et Edmé Augustin Thomas.

- Six Icaunais dans le bataillon issu du régiment de Bourgogne, à savoir l’enseigne François Robinet de Fontenette et les soldats Etienne Guttin, Cot Auvergne, Gabriel Roubeau, Edmé Chevigny et Edmé Roch Lenoir.

- Et douze Icaunais dans le bataillon issu du régiment d’Artois, à savoir le capitaine François Philibert de Morot, ses frères Jean Louis de Morot, lieutenant, et Jacques de Morot, enseigne, les soldats Thomas Condran, Philibert Pétillot, Simon Baudin, Toussaint de Despence, Melchior Duneau, Jean Husset et Laurent Royer, affectés à la compagnie dudit capitaine, et les soldats Godefroy Rousseau et François Boyer, affectés à deux autres compagnies.

       Tous ces militaires originaires de l’Yonne quittèrent le port de Brest le 16 avril 1755, à bord de vingt-deux vaisseaux de guerre transportant le baron Jean Armand de Dieskau et les six bataillons placés sous ses ordres. Au cours de la traversée de l’océan Atlantique, trois navires séparés de l’escadre française par la brume furent surpris le 8 juin 1755 par la flotte britannique de l’amiral anglais Edward Boscawen. Malgré la paix qui régnait officiellement entre la France et la Grande-Bretagne, deux navires français furent capturés, avec à leurs bords quatre compagnies du régiment de la Reine et quatre compagnies du régiment du Languedoc, le troisième vaisseau parvenant à s’échapper de justesse pour rejoindre son escadre à Louisbourg.

 

LA CAMPAGNE DE 1755

  

       Les Britanniques avaient décidé de passer à l’offensive, sans prendre la peine de déclarer la guerre à la France. Le 3 juin 1755, tandis que l’escadre française du baron Jean Armand de Dieskau se dirigeait vers Louisbourg, en Acadie, ils ouvrirent les hostilités en attaquant le fort acadien de Beauséjour, qui avait été bâti en 1750 par les Français. Ne disposant que de cent cinquante soldats coloniaux des troupes françaises de la Marine, face aux quelque deux mille assaillants britanniques placés sous les ordres du lieutenant-colonel anglais Robert Monckton, le commandant du fort, Louis du Pont-Duchambon de Vergor, capitula le 16 juin 1755.

       Le baron Jean Armand de Dieskau arriva en Acadie peu après ce revers. Avant de poursuivre sa route vers Québec, il laissa à Louisbourg les deux bataillons issus des régiments d’Artois et de Bourgogne. La compagnie des grenadiers du bataillon de Bourgogne débarqua le 19 juin 1755, puis six premières compagnies de fusiliers du même bataillon en firent autant le 24 juin, les six autres compagnies de fusiliers débarquant le 26 juin. Le 29 juin 1755, les deux bataillons de Bourgogne et d’Artois furent passés en revue en la forteresse de Louisbourg, où furent recensés dix-huit des vingt-deux Icaunais qui avaient quitté Brest le 16 avril précédent.

     Seuls quatre soldats nés dans l’Yonne accompagnèrent le baron Jean Armand de Dieskau jusqu’à Québec, où ils arrivèrent à la fin du mois de juin. Il s’agissait de Nicolas Tardy, du bataillon du Languedoc, de Claude Olivier Blénon, du bataillon de la Reine, et de Jean Louis Dan et Edmé Augustin Thomas, servant quant à eux au bataillon de Guyenne. Pour compléter les rangs dégarnis de certaines compagnies, plusieurs colons canadiens furent appelés à servir dans l’armée venue de France. Parmi eux se trouvait Pierre André Vaudoux, natif de l’Yonne, qui vivait depuis une dizaine d’années au Canada où il était arrivé comme soldat dans les troupes de la Marine. Retourné à la vie civile à la fin de 1751, il reprit du service dès l’été 1755 en s’engageant comme simple soldat dans le second bataillon du régiment d’infanterie de Guyenne, au sein de la compagnie du capitaine de Saint-Vincent.

       Parmi les nombreux Icaunais qui étaient restés à Louisbourg, il y avait le soldat Melchior Duneau, servant dans le bataillon issu du régiment d’Artois. Cet homme né à Noyers-sur-Serein, affecté à la compagnie du capitaine icaunais François Philibert de Morot-Grésigny, fut capturé par les Britanniques dès le 9 juillet 1755.

       Le même jour, en Pennsylvanie, le général écossais Edward Braddock traversa la rivière Monongahela à la tête d’une armée de deux mille deux cents hommes, qui comprenait les deux régiments d’infanterie britanniques venus d’Irlande avec lui, le bataillon américain de Virginie du lieutenant-colonel George Washington, qui avait réintégré l’armée, des compagnies franches, des miliciens, voire quelques marins. L’objectif du général écossais était de s’emparer du fort Duquesne, puis de prendre aux Français toute la vallée de l’Ohio. La puissante armée britannique et américaine semblait devoir l’emporter aisément lorsque ledit 9 juillet 1755, ayant emprunté un long chemin à travers les bois, elle y fut déchiquetée sur place par le feu nourri de tireurs embusqués, comprenant cent soldats coloniaux des troupes françaises de la Marine, cent miliciens canadiens et six cents guerriers amérindiens de la vallée de l’Ohio, dont les Wyandots que les Américains avaient chassés en 1751.

       La bataille de Monongahela, à laquelle a peut-être participé le caporal icaunais Cot Godefroy Deserin, se solda par la débâcle de l’armée britannique et américaine au bout de quatre heures de combat. Si les tireurs embusqués ne déplorèrent que seize blessés et vingt-trois morts, dont le capitaine Daniel Hyacinthe Marie Liénard de Beaujeu, qui fut tué dès les premières salves et remplacé à la tête des soldats et miliciens franco-canadiens par le capitaine Jean Daniel Dumas, les pertes dans les rangs des soldats britanniques et des miliciens américains fut considérable. Il y eut quelque cinq cents morts et presque cinq cents blessés parmi eux. Atteint par une balle au cours de la fusillade, le général écossais Edward Braddock mourut de ses blessures le 13 juillet 1755. Le lieutenant-colonel George Washington, qui parvint à fuir le champ de bataille, ne ramena que trente hommes sur les trois compagnies de son bataillon. La vallée de l’Ohio restait donc sous protectorat français.

       En Acadie, l’arrivée des bataillons d’Artois et de Bourgogne, venus renforcer la garnison française de Louisbourg, inquiétait fort les Britanniques. Le 28 juillet 1755, en effet, sur proposition du juge Jonathan Belcher, le gouverneur britannique de la Nouvelle-Ecosse, Charles Lawrence, décida avec son conseil exécutif de déporter les quinze mille Acadiens vivant dans sa colonie, car ceux-ci refusaient de prêter un serment d’allégeance à la couronne d’Angleterre dans l’espoir d’être bientôt libérés par les forces françaises de l’île Royale. Cette déportation massive fut préparée en secret au mois d’août 1755. C’est dans ce contexte que l’un des soldats icaunais en garnison sur l’île Royale passa de vie à trépas. Il s’agissait d’Edmé Roch Lenoir, du bataillon issu du régiment de Bourgogne, qui mourut le 2 septembre 1755 à l’hôpital militaire de Louisbourg. Trois jours plus tard, le 5 septembre 1755, les habitants de Grand-Pré furent les premiers colons acadiens à être arrêtés en masse pour être déportés, sous la férule du lieutenant-colonel américain John Winslow.

       Pendant ce temps, dans la région des Grands-Lacs, les Français déployaient leurs forces. Obéissant aux ordres de Pierre de Rigaud de Vaudreuil, gouverneur de la Nouvelle-France, le baron Jean Armand de Dieskau avait pris position avec ses hommes au fort Frontenac, sur le site actuel de la ville de Kingston en Ontario. En apprenant qu’une armée de trois mille miliciens américains et guerriers iroquois se dirigeait vers le fort Saint-Frédéric, sous la conduite du colonel William Johnson, le gouverneur français ordonna au baron saxon d’aller défendre ce fort stratégique qui interdisait l’accès au lac Champlain. Le baron Jean Armand de Dieskau quitta donc le fort Frontenac pour aller s’interposer entre l’armée du colonel William Johnson et le fort Saint-Frédéric. Le 1er septembre 1755, il fonda sur la rivière Richelieu le fort Carillon, sur le site de Ticonderoga. De son côté, le colonel William Johnson fit bâtir au lac Saint-Sacrement le fort William-Henry, pour y loger ses troupes.

       De part et d’autre, chacun des deux belligérants voulait détruire la base arrière de l’adversaire pour mieux l’isoler. Le baron Jean Armand de Dieskau dut toutefois renoncer à attaquer le fort Edward, établi par les Américains sur la rivière Hudson, car ses alliés iroquois devenus catholiques refusaient de tirer sur leurs congénères luttant aux côtés de l’ennemi. Le colonel William Johnson, quant à lui, constitua une colonne de mille miliciens américains et guerriers iroquois, chargée de contourner le fort Carillon pour aller détruire le fort Saint-Frédéric. Il confia le commandement de cette armée d’assaut au colonel Ephraim Williams, qui tomba dans une embuscade tendue le 8 septembre 1755 par le baron Jean Armand de Dieskau.

       Celui-ci, ayant laissé la majeure partie de ses troupes au fort Carillon, était parti à la rencontre de l’ennemi à la tête de mille cinq cents hommes, à savoir deux cents fantassins servant dans deux compagnies du régiment du Languedoc et dans deux compagnies du régiment de la Reine, appuyés par six cents miliciens canadiens et sept cents guerriers amérindiens, dont trois cents Iroquois. Au cours de la fusillade, le colonel Ephraim Williams fut tué, ainsi que le chef iroquois Thévanoguin, allié des Américains, mais le gros des troupes adverses put s’échapper et rebrousser chemin jusqu’au fort William-Henry. Deux soldats icaunais, Claude Olivier Blénon et Nicolas Tardy, appartenant respectivement aux régiments de la Reine et du Languedoc, ont peut-être participé à cette embuscade victorieuse du 8 septembre 1755.

       Voulant pousser aussitôt son avantage, sans tenir compte de l’avis défavorable des miliciens canadiens et des guerriers amérindiens, le baron saxon Jean Armand de Dieskau partit à l’assaut, le 14 septembre 1755, du fort américain William-Henry qui était défendu par des forces supérieures aux siennes. Suivi uniquement par ses deux cents fantassins, les seuls qui acceptèrent de manœuvrer selon les méthodes européennes, il perdit la moitié de ses soldats au cours de l’attaque et fut lui-même grièvement blessé au combat. Il fut finalement capturé par les miliciens américains du colonel William Johnson, ce qui mit fin à la campagne militaire de 1755.

       L’année 1755 s’acheva tristement pour les colons francophones d’Amérique du Nord. Le 8 octobre de cette année-là, en effet, les premiers Acadiens furent obligés d’embarquer à bord de navires britanniques pour partir vers l’inconnu.

 

LES NOUVEAUX RENFORTS

  

       Après la perte du baron Jean Armand de Dieskau, capturé par les miliciens du colonel William Johnson le 14 septembre 1755, un nouveau chef de guerre devait être placé à la tête des forces françaises d’Amérique du Nord. Le roi Louis XV porta son choix sur le marquis Louis Joseph de Montcalm, promu au grade militaire de maréchal de camp. Celui-ci quitta Versailles le 15 mars 1756 pour se rendre au port breton de Brest, où il arriva le 21 mars suivant. Il put y accueillir ainsi, le lendemain, le second bataillon du régiment d’infanterie de la Sarre, qui avait quitté le poste de Toulouse le 2 février précédent. Trois jours plus tard, le 25 mars 1756, il put assister à l’arrivée à Brest du second bataillon du régiment d’infanterie de Royal-Roussillon. Chacun de ces deux bataillons avait un effectif de cinq cent cinquante-six hommes, en comptant tous les officiers, et se composait de douze compagnies de quarante fusiliers et d’une compagnie de quarante-cinq grenadiers. Sur les mille cent douze militaires placés sous les ordres du marquis Louis Joseph de Montcalm, on pouvait compter cinq Icaunais au moins, qui servaient dans les bataillons suivants :

- Un seul Icaunais dans le second bataillon issu du régiment de Royal-Roussillon, à savoir le soldat Pierre Guyot.

- Quatre Icaunais dans le second bataillon issu du régiment de la Sarre, à savoir les soldats Joseph Riotte et Nicolas Trinquet, le sergent Jean Gaston Choupe et enfin l’officier François Philippe Gau des Voves.

       Le 26 mars 1756, tous les soldats des deux bataillons embarquèrent à bord de trois vaisseaux de guerre : L’Illustre, qui transportait neuf compagnies de fusiliers du bataillon de Royal-Roussillon, dont celle du capitaine Rouyn où avait été affecté le soldat Pierre Guyot ; puis Le Héros, qui transportait neuf compagnies de fusiliers du bataillon de la Sarre, dont celle du capitaine Luc Angélique de Remigny où avaient été affectés le sergent Jean Gaston Choupe et les soldats Joseph Riotte et Nicolas Trinquet ; et enfin Le Léopard, qui devait transporter les huit dernières compagnies du corps expéditionnaire, à savoir trois compagnies de fusiliers et la compagnie de grenadiers de chacun des deux bataillons.

     Le marquis Louis Joseph de Montcalm embarqua à son tour le lendemain avec tous ses officiers, à bord de trois frégates. Il monta personnellement sur La Licorne, sans doute avec son jeune cuisinier icaunais Charles Bonnet. Le chevalier François Gaston de Lévis monta à bord de La Sauvage, tandis que d’autres officiers prirent leurs quartiers à bord de La Sirène. Le 3 avril 1756, la frégate du marquis quitta le port de Brest, suivie du vaisseau Le Héros. Les quatre autres navires ne quittèrent ledit port que trois jours plus tard, le 6 avril 1756, en direction du Canada.

       De l’autre côté de l’Atlantique, on attendait l’arrivée de ces renforts. En Acadie, l’un des soldats icaunais du convoi précédent, à savoir Melchior Duneau, qui avait été capturé par les Britanniques le 9 juillet 1755, put sans doute s’échapper. Le 29 avril 1756, en effet, tandis que la flotte du marquis Louis Joseph de Montcalm était en haute mer, il entra à l’hôpital militaire de la forteresse de Louisbourg.

       En Europe, la guerre était imminente. Le 1er mai 1756, à Versailles, fut signé un traité d’amitié entre la France et l’Autriche, ces deux pays longtemps rivaux ayant négocié en secret un renversement d’alliances pour lutter ensemble, avec la Russie, contre la Prusse et la Grande-Bretagne. De leur côté, à Westminster, les Prussiens conclurent avec les Britanniques un traité d’alliance contre les Russes, les Français et les Autrichiens. Le roi d’Angleterre, qui était aussi prince électeur de Hanovre et par conséquent inquiet de l’emprise de l’Autriche sur l’empire germanique, finit par prendre les devants en déclarant la guerre à la France, alliée des Autrichiens.

 

LA CAMPAGNE DE 1756

 

       Le marquis Louis Joseph de Montcalm arriva à Québec le 13 mai 1756, à bord de la frégate La Licorne. Avec lui, à bord du vaisseau de guerre Le Héros, arrivaient aussi le même jour le sergent Jean Gaston Choupe et les soldats Joseph Riotte et Nicolas Trinquet, natifs de l’Yonne. Le marquis quitta aussitôt Québec pour rejoindre à Montréal le gouverneur Pierre de Rigaud de Vaudreuil. Les quatre autres navires arrivèrent donc à Québec en son absence : la frégate La Sirène le 25 mai 1756, les vaisseaux L’Illustre et Le Léopard le 30 mai et la frégate La Sauvage le 31 mai.

       Le 2 juin 1756, à Québec, le second bataillon du régiment de la Sarre fut passé en revue et partagé en deux divisions, quittant la ville les 5 et 6 juin pour rejoindre le marquis de Montcalm qui, depuis le 26 mai, se trouvait à Montréal. Le 7 juin 1756, le second bataillon du régiment de Royal-Roussillon fut passé en revue à son tour en ladite ville de Québec, puis divisé en deux divisions qui quittèrent les lieux les 11 et 12 juin pour se rendre elles aussi à Montréal, auprès du marquis.

       Le 27 juin 1756, le marquis Louis Joseph de Montcalm quitta Montréal avec ses deux bataillons fraîchement arrivés de France. Il était accompagné des six Icaunais mentionnés ci-avant, à savoir son jeune cuisinier Charles Bonnet, l’officier François Philippe Gau des Voves, le sergent Jean Gaston Choupe et les trois soldats Joseph Riotte, Nicolas Trinquet et Pierre Guyot. Remontant le cours de la rivière Richelieu, les bataillons de la Sarre et de Royal-Roussillon arrivèrent le 3 juillet 1756 au fort Carillon, fondé dix mois plus tôt par le baron Jean Armand de Dieskau. Le marquis de Montcalm en confia aussitôt le commandement au chevalier François Gaston de Lévis, chargé de défendre cet avant-poste français face à la garnison américaine du fort William-Henry. Il quitta ensuite le fort Carillon le 16 juillet 1756.

       Le gouverneur Pierre de Rigaud de Vaudreuil avait confié au marquis la mission de s’emparer du fort Chouaguen, qui avait été bâti sur les bords du lac Ontario par les Britanniques. Désigné par ceux-ci sous le nom de fort Oswego, ce bastion était une épine dans le pied des Français dans la région des Grands Lacs. Il fallait donc prendre cette place forte au plus vite. Le 13 août 1756, le marquis Louis Joseph de Montcalm s’empara d’abord du fort britannique de l’Etoile, puis, dès le lendemain, il parvint à prendre aussi le fort Chouaguen. Cette double victoire, qui fut célébrée par un Te Deum chanté le 22 août 1756 en la cathédrale de Québec, fut remportée au moment même où des détachements de miliciens canadiens, assistés de guerriers amérindiens, ravageaient un peu partout les postes frontaliers américains.

       Jusque lors, le conflit opposant la France et la Grande-Bretagne ne se déroulait qu’en Amérique du Nord. Il ne s’étendit à l’Europe que le 29 août 1756, quand le roi de Prusse Frédéric II de Hohenzollern, allié des Britanniques, pénétra en Saxe avec son armée sans déclaration de guerre. Après avoir pris la ville de Dresde, il écrasa l’armée impériale de la reine d’Autriche Marie-Thérèse de Habsbourg à la bataille de Lovosice. Dès lors, la France et la Russie étaient obligées d’intervenir en Allemagne pour voler au secours de l’Autriche. Faisant jouer ses vieilles alliances, la France fit en sorte d’impliquer également dans le conflit la Suède et l’Espagne. La guerre qui avait commencé outre-Atlantique allait devenir mondiale, aussi bien en Europe que dans toutes les colonies françaises, espagnoles et britanniques.

       Tandis que les deux camps fourbissaient leurs armes, prêts à s’affronter dès les beaux jours de l’année suivante, un nouveau premier ministre fut nommé à Londres en décembre 1756 en la personne de William Pitt. Celui-ci comptait battre la France non pas sur le sol européen, où la Prusse et le Hanovre devaient se contenter d’un soutien britannique minimal, mais en Amérique du Nord et aux Indes pour priver à terme les Français de leur empire colonial. Pour ce faire, il décida de mobiliser toute la puissance navale de son pays pour bloquer les ports français, détruire les forces maritimes et la flotte commerciale de la France, et envoyer sur le sol américain un gros renfort de vingt-trois mille hommes pour prendre Louisbourg et Québec.

       Ce plan de guerre britannique correspondait tout à fait aux vœux des stratèges militaires du roi de France. Ceux-ci voulaient précisément que la Grande-Bretagne engageât une grosse partie de ses forces dans les colonies, incitant pour cela tous les bataillons français, toutes les compagnies franches et milices canadiennes, ainsi que tous les alliés amérindiens de la France, à exaspérer les colons américains en multipliant les coups de main audacieux contre leurs positions. Les Français avaient prévu en effet de gagner la guerre de Sept ans en Europe, ce qui leur aurait permis de négocier ensuite la restitution de toutes les colonies perdues, comme cela s’était déjà produit à l’issue des conflits précédents. Ce plan n’était point insensé puisque, théoriquement, deux petits pays comme la Prusse et le Hanovre ne pouvaient guère résister longtemps en Europe à la force conjuguée de la France, de l’Autriche, de la Russie, de la Suède et de l’Espagne. Mais c’était sans compter sur le génie militaire et l’endurance du malicieux roi de Prusse, Frédéric II de Hohenzollern.

 

LA CAMPAGNE DE 1757

 

     Ce fut dans ce contexte martial que le roi de France envoya un troisième renfort militaire au Canada. Il s’agissait cette fois des deuxième et troisième bataillons du régiment d’infanterie du Berry, qui ne comprenaient chacun que neuf compagnies formées de trois officiers et de soixante combattants, sergents et caporaux compris. Sur les mille cent trente-quatre hommes de ce nouveau corps expéditionnaire, il n’y avait que quatre fantassins natifs de l’Yonne, à savoir les soldats Etienne Godefroy, Vincent Lamarre, Pierre Alexandre Legrand et Claude Crédé. Ces quatre Icaunais quittèrent la France en bateau le 3 mai 1757. Initialement, ils devaient aller renforcer la garnison de Louisbourg, en Acadie, mais les deux nouveaux bataillons envoyés combattre les Britanniques en Nouvelle-France voguèrent vers Québec.

       Le 6 mai 1757, trois jours après le départ de nouvelles troupes françaises pour les rives du Saint-Laurent, le roi de Prusse, qui avait repris les hostilités en Europe en envahissant la Bohême, remporta la bataille de Sterboholy sur l’armée impériale de la reine d’Autriche Marie-Thérèse de Habsbourg. Cette victoire lui permit aussitôt d’assiéger la ville de Prague, qu’il bombarda pendant vingt et un jours. Il fut défait cependant le 15 juin suivant à la bataille de Kolín par une autre armée impériale, ce qui l’obligea de lever le siège de Prague le 18 juin et de se replier en Silésie.

       Ce revers d’un roi opposé à la France fut toutefois suivi par la cuisante défaite d’un monarque allié. Le 23 juin 1757, en effet, le roi du Bengale Siradj-ud-Daula fut écrasé à la bataille de Plassey par le colonel anglais Robert Clive, qui pourtant ne disposait que de huit cents soldats britanniques et de deux mille deux cents cipayes indiens face aux quinze mille cavaliers et trente cinq mille fantassins bengalais.

       Au Canada, tandis qu’approchait la flotte française amenant les deux bataillons du régiment du Berry, l’un des soldats icaunais qui étaient arrivés sur place en 1755 avec le second bataillon du régiment de Guyenne, Edmé Augustin Thomas, entra le 1er juillet 1757 à l’hôpital général de Québec. Il y mourut le 21 juillet suivant. À peine trois jours plus tard, le 24 juillet 1757, les soldats affectés aux deuxième et troisième bataillons dudit régiment du Berry débarquèrent au port de Québec.

       L’arrivée de ce renfort militaire venu de France intervenait au moment même où en Allemagne, principal théâtre des luttes européennes, les Français s’apprêtaient à affronter les Britanniques qui défendaient le Hanovre. Le 26 juillet 1757, le maréchal d’Estrées finit par remporter la bataille d’Hastenbeck livrée ce jour-là contre l’armée du duc Guillaume Auguste de Cumberland, fils du roi Georges II d’Angleterre. Cette réussite n’empêcha pas le roi Louis XV de limoger le maréchal victorieux.

       Les deux bataillons du régiment du Berry qui venaient de débarquer à Québec arrivaient trop tard pour aller participer, dans la vallée de l’Ohio, à l’offensive que le marquis Louis Joseph de Montcalm y préparait. Celui-ci, au départ du fort Carillon, attaqua le 3 août 1757 le fort William-Henry, avant-poste que le colonel américain William Johnson avait fait bâtir deux ans plus tôt au bord du lac Saint-Sacrement, ou Lake George en anglais. Il s’en empara six jours plus tard, le 9 août 1757.

      Cette victoire française fut coûteuse en hommes. Deux soldats icaunais furent sans doute blessés au cours de l’assaut, à savoir Nicolas Tardy, du second bataillon du régiment du Languedoc, et Claude Olivier Blénon, affecté au second bataillon du régiment de la Reine. Le premier entra à l’hôtel-Dieu de Montréal le 16 septembre 1757, et le suivant décéda à l’hôpital général de Québec le 20 octobre.

      Pendant ce temps, en Allemagne, le roi de Prusse Frédéric II de Hohenzollern résistait opiniâtrement à tous les assauts lancés contre lui par les forces armées de l’Autriche, de la France, de la Russie et de la Suède. Il fut certes vaincu par l’armée russe le 6 septembre 1757 à la bataille de Jägersdorf, perdant dans la foulée la ville de Berlin, mais il refusa de capituler et reprit très rapidement l’offensive.

       Déployant tout son génie militaire, Frédéric II empêcha d’abord les Suédois de récupérer la Poméranie. Dès le 5 novembre 1757, il écrasa ensuite à la bataille de Rossbach une armée franco-autrichienne commandée par les princes Charles de Soubise et Joseph de Saxe-Hildburghausen. Ceux-ci, à la tête de soixante-quatre mille combattants, dont un contingent de soldats suédois, ne purent en finir avec le monarque prussien qui, pourtant, ne disposait que de vingt et un mille fantassins et de trente-huit escadrons de cavalerie. Pendant cette rencontre, le roi de Prusse ne perdit que cinq cent quarante-huit hommes, alors que ses adversaires déplorèrent la perte de huit mille soldats, tués, blessés ou capturés. L’année se termina en beauté pour les Prussiens puisque le 5 décembre 1757, à la bataille de Leuthen, en Silésie, leur souverain tailla en pièces avec seulement trente-trois mille soldats une grosse armée autrichienne de soixante-mille hommes. Ce jour-là, le roi victorieux fit jusqu’à vingt-deux mille prisonniers. Ses deux énormes succès militaires contre la France et l’Autriche donnèrent un répit à la Grande-Bretagne, qui put ainsi poursuivre son plan de guerre consistant à concentrer ses efforts contre l’empire colonial français.

 

LA CAMPAGNE DE 1758

 

       Une fois de plus, ce fut le roi de Prusse qui reprit l’offensive en Europe. Lançant ses troupes à l’assaut de la Moravie, il fut toutefois contraint de se retirer après avoir été arrêté dans son élan par la résistance inattendue de la forteresse d’Olomouc, ou Olmütz, puis vaincu à la bataille de Domašov nad Bystríci par l’armée autrichienne du baron Ernst Gideon von Laudon, né en Lettonie. Ce nouveau revers prussien fut bientôt compensé, toutefois, par la défaite subie par les Français le 23 juin 1758 à la bataille de Crefeld, face à une armée défendant le Hanovre.

       En Amérique du Nord, les Britanniques étaient décidés à faire plier les Français qui, jusque lors, étaient parvenus à les faire reculer sur tous les fronts. Ayant réuni des forces considérables, ils étaient prêts à porter enfin le coup de grâce aussi bien en Acadie que dans la vallée de l’Ohio. Pour tenter de retarder l’échéance, le roi de France envoya un autre renfort en Acadie, à savoir le second bataillon du régiment d’infanterie du colonel Jacques David, marquis de Cambis. Aucun soldat originaire de l’Yonne de façon indiscutable ne faisait partie de ce dernier bataillon, si ce n’est, peut-être, Jean Fournier, Claude Gaultier, Barthélemy Multon et Edmé Sondet. Les hommes du nouveau bataillon furent tous mis en garnison à Louisbourg, peu avant qu’une armée britannique ne vînt assiéger la place le 2 juin 1758.

       Le premier coup fut porté cependant dans la vallée de l’Ohio, dont l’accès était défendu par le fort Carillon. Averti qu’une puissante armée de quinze mille soldats britanniques et miliciens américains approchait de cette place forte, le marquis Louis Joseph de Montcalm fit élever devant le fort ainsi menacé, le 5 juillet 1758, une ligne défensive d’abattis pointés vers l’extérieur, entremêlés d’épines et de branchages. Pour s’opposer aux forces ennemies, qui étaient placées sous les ordres du général écossais James Abercrombie, il ne disposait que des huit bataillons métropolitains venus de France en 1755, 1756 et 1757 pour défendre le Canada et toute la vallée de l’Ohio, ce qui représentait une force modeste de trois mille cinq cents hommes. Malgré cette infériorité numérique, il parvint à repousser, le 8 juillet 1758, l’attaque massive des Britanniques et des Américains qui perdirent deux mille combattants lors de cette rencontre. Les Français eurent quant à eux cinq cent vingt-sept tués et blessés. Onze Icaunais participèrent à cette victoire inespérée :

- Aucun dans le bataillon du Béarn.

- Plus aucun dans le bataillon de la Reine.

- Plus aucun dans le bataillon du Languedoc.

- Un seul dans le bataillon de Royal-Roussillon, à savoir le soldat Pierre Guyot.

- Deux dans le bataillon de Guyenne, à savoir les soldats Jean Louis Dan et Pierre André Vaudoux.

- Quatre dans le bataillon de la Sarre, à savoir les soldats Joseph Riotte et Nicolas Trinquet, ainsi que le sergent Jean Gaston Choupe et l’officier François Philippe Gau des Voves, qui fut nommé capitaine le 25 juillet suivant.

- Et quatre dans les deux bataillons du Berry, à savoir les soldats Etienne Godefroy, Claude Crédé, Pierre Alexandre Legrand et Vincent Lamarre, ce dernier ayant sans doute été blessé au cours de la bataille.

       En Acadie, les trois bataillons issus des régiments d’Artois, de Bourgogne et de Cambis, qui défendaient la forteresse de Louisbourg, ne purent contenir les forces britanniques lancées à l’assaut de cette place fortifiée, placées sous les ordres du général anglais Jeffrey Amherst et de l’amiral anglais Edward Boscawen. Après un long siège, en effet, les Français durent finalement capituler le 26 juillet 1758. Parmi les combattants qui se rendirent ce jour-là se trouvaient quatorze Icaunais, auxquels peuvent être ajoutés quatre autres combattants dont l’origine reste incertaine :

- Le lieutenant François Robinet de Fontenette et les soldats Cot Auvergne, Gabriel Roubeau et Edmé Chevigny, du second bataillon du régiment de Bourgogne, mais pas le soldat Etienne Guttin qui était peut-être déjà rentré en France.

- Le capitaine François Philibert de Morot, les deux lieutenants Jean Louis de Morot et Jacques de Morot, et les soldats Godefroy Rousseau, Thomas Condran, Philibert Pétillot, Toussaint de Despence, Simon Baudin, Jean Husset et Laurent Royer, du second bataillon du régiment d’Artois, mais point le soldat François Boyer qui était peut-être déjà reparti en France.

- Les soldats Jean Fournier, Claude Gaultier, Barthélemy Multon et Edmé Sondet, si tant est que ces quatre hommes servant au second bataillon du régiment de Cambis étaient bien natifs de l’Yonne.

       Tous ces prisonniers furent aussitôt ramenés en Europe par les vainqueurs, qui avaient décidé de les garder quelque temps en captivité à Plymouth, dans le sud de l’Angleterre. Certains d’entre eux, appartenant au second bataillon du régiment de Cambis, n’étaient restés sur le sol acadien que quelques semaines.

       La chute de Louisbourg marqua un tournant décisif dans la guerre qui opposait Français et Britanniques en Amérique du Nord. Dans la vallée de l’Ohio, constatant que leurs alliés français ne pourraient plus résister longtemps à la pression militaire exercée par l’ennemi, les guerriers des nations amérindiennes de la région finirent par conclure une paix séparée avec les émissaires des vainqueurs. Délaissés par la plupart des tribus indigènes, les Français perdirent le fort Frontenac le 27 août 1758 et durent abandonner le fort Duquesne pour concentrer leurs forces. Ils déploraient aussi la perte, en mai, de la Guadeloupe qui protégeait en partie la Louisiane.

       En Europe, la situation des alliés de la France n’était guère plus brillante. Le roi de Prusse Frédéric II de Hohenzollern, toujours aussi opiniâtre, parvint une fois de plus à lever une armée pour reprendre le combat. Le 25 août 1758, à la bataille de Zorndorf, il bouscula l’armée russe qui fut obligée de quitter son royaume. Pendant ce temps, pour empêcher le roi Louis XV d’envoyer des renforts en Allemagne et en Amérique du Nord, les Britanniques s’apprêtaient à attaquer la Bretagne. Ils avaient déjà pillé le port breton de Cancale en juin puis bombardé en août le port normand de Cherbourg. Le 3 septembre 1758, le général anglais Thomas Bligh débarqua au port breton de Saint-Briac-sur-Mer avec dix mille hommes, acheminés jusque là par une centaine de navires. Il comptait s’emparer de Saint-Malo, mais il fut vaincu à la bataille de Saint-Cast le 11 septembre suivant par les troupes d’Emmanuel Armand de Vignerot du Plessis, duc d’Aiguillon et gouverneur militaire de Bretagne. En dépit de cette victoire inespérée, les Français étaient toujours en mauvaise posture.

       Dans ce contexte général, le sort du fort Carillon était scellé. Sans doute blessé lors de la défense de ce bastion, le soldat icaunais Vincent Lamarre y mourut le 21 septembre 1758, à l’âge de dix-huit ans. Le même jour, à Plymouth où il était retenu en captivité, décédait également un autre soldat nommé Jean Lebider, qui avait été fait prisonnier à Louisbourg et qui était peut-être originaire de l’Yonne lui aussi. Une semaine plus tard, le 28 septembre 1758, mourut à Plymouth un second captif dont on ne sait s’il était vraiment icaunais, à savoir Edmé Sondet.

       En Allemagne, les Français connurent quelques succès. Le 10 octobre 1758, ils gagnèrent la bataille de Lutterberg contre une armée défendant le Hanovre, dont le roi Georges II d’Angleterre était le prince électeur. Cette victoire tardive ne fut point suffisante, néanmoins, pour rétablir la situation militaire à leur avantage. Il convenait cependant de rassurer tous les habitants du royaume. Sur ordre du roi Louis XV de Bourbon, toutes les villes épiscopales de France célébrèrent la victoire du marquis de Montcalm à la bataille du fort Carillon puis celle du duc d’Aiguillon à la bataille de Saint-Cast. À Auxerre, l’évêque Jacques Marie de Caritat de Condorcet fit chanter à la cathédrale un Te Deum à la gloire des deux vainqueurs, le dimanche 15 octobre 1758. Il ne fit point mention, toutefois, de la perte définitive de l’Acadie.

       Les Britanniques finirent par libérer les soldats de Louisbourg. Le premier convoi de militaires français rendus à leur pays parvint à Calais le 17 décembre 1758, avec les soldats et quelques officiers du second bataillon du régiment d’Artois. Parmi ces hommes se trouvaient le capitaine François Philibert de Morot, le lieutenant Jacques de Morot et les sept soldats Laurent Royer, Jean Husset, Simon Baudin, Toussaint de Despence, Philibert Pétillot, Thomas Condran et Godefroy Rousseau. Un autre convoi arriva à Calais le lendemain, 18 décembre 1758, avec les soldats du second bataillon du régiment de Bourgogne. Parmi ces captifs libérés se trouvaient les trois soldats Cot Auvergne, Gabriel Roubeau et Edmé Chevigny.

 

LA CAMPAGNE DE 1759

 

       Certains officiers français capturés à Louisbourg avaient passé l’hiver dans les geôles anglaises à Plymouth. Ils finirent cependant par être relâchés avant le début du printemps. Le 12 mars 1759, en effet, l’enseigne François Robinet de Fontenette fit partie des officiers du régiment de Bourgogne qui débarquèrent ce jour-là au port breton de Saint-Malo. Le même jour, le lieutenant Jean Louis de Morot fit partie des officiers du régiment d’Artois qui débarquèrent au port breton de Brest.

       Dix jours plus tard, le 22 mars 1759, un convoi de quatorze navires marchands quitta le port de Bordeaux sous la conduite du corsaire Jacques Canon, lequel avait été chargé de transporter jusqu’à Québec des vivres, des munitions et un contingent de jeunes recrues. Parmi ces jeunes soldats que le roi Louis XV avait enfin consenti d’envoyer aux Amériques, à la demande du capitaine Louis Antoine de Bougainville, aide de camp du marquis Louis Joseph de Montcalm, il y avait un soldat icaunais qui s’appelait Jean-Baptiste Campenon, monté à bord de la frégate L’Aimable Nanon. Arrivé à Québec le 17 mai 1759, il rejoignit aussitôt le second bataillon du régiment de Guyenne, où il fut affecté à la compagnie du capitaine Bellot.

       Après l’arrivée au Canada du dernier contingent de soldats français envoyé par le roi, le gouverneur Pierre Rigaud de Vaudreuil put organiser la répartition de ses dernières forces armées en Nouvelle-France. Le second bataillon du régiment de la Reine et les deux bataillons du régiment du Berry furent envoyés dans la vallée de l’Ohio, pour défendre le fort Carillon sous les ordres du colonel François Charles de Bourlamaque. Trois Icaunais du régiment du Berry firent partie de l’expédition, à savoir les soldats Etienne Godefroy, Claude Crédé et Pierre Alexandre Legrand. Le marquis Louis Joseph de Montcalm, de son côté, conserva les cinq autres bataillons pour la défense de la ville de Québec, avec huit autres Icaunais :

- Le soldat Pierre Guyot, servant au bataillon de Royal-Roussillon.

- Les soldats Jean Louis Dan, Pierre André Vaudoux et Jean-Baptiste Campenon, servant au bataillon de Guyenne.

- Les soldats Joseph Riotte et Nicolas Trinquet, le sergent Jean Gaston Choupe et le capitaine François Philippe Gau des Voves, servant au bataillon de la Sarre.

       Les Britanniques lancèrent trois armées à l’assaut de ce dispositif. La première, sous le commandement du général anglais James Wolfe, se dirigea vers la ville de Québec, dans la vallée du Saint-Laurent ; la deuxième, placée quant à elle sous les ordres du général anglais John Prideaux, partit vers le fort Niagara, dans la région des Grands Lacs ; la troisième, enfin, menée par le général anglais Jeffrey Amherst, se porta vers le fort Carillon, dans la vallée de l’Ohio.

       Le 27 juin 1759, l’armée du général James Wolfe parvint à l’île d’Orléans, tout près de Québec, où elle s’empara de la paroisse canadienne de Saint-Laurent. Les Français fermèrent alors les portes de Québec trois jours plus tard, pour résister aux assauts imminents de l’ennemi. Le 9 juillet 1759, les Britanniques prirent ensuite la paroisse de L’Ange-Gardien, lançant des bombes incendiaires sur Québec pour y mettre le feu à la cathédrale et à la basse ville. Le bombardement de la place forte de Québec commença de manière intensive le 12 juillet, avec un pic de quinze mille bombes le 24 juillet 1759. Ce fut au cours de ce pilonnage incessant que le soldat icaunais Jean-Baptiste Campenon, qui venait de rejoindre le régiment de Guyenne, fut estropié par un éclat de bombe qui lui fracassa le genou droit.

       Au même moment, dans la région des Grands Lacs, l’armée du général anglais John Prideaux arriva près du fort Niagara. Elle se composait de cinq mille cinq cents soldats britanniques et miliciens américains, et de six cents guerriers iroquois placés sous le commandement du colonel américain William Johnson, qui venait d’épouser une Iroquoise nommée Mary Brant. Le 9 juillet 1759, le général John Prideaux mit le siège au fort français, qui n’était défendu que par cinq cents combattants dirigés par le capitaine Pierre Pouchot de Maupas, officier du second bataillon du régiment du Béarn. Malgré les tirs britanniques de mortiers et de canons, la garnison française résista avec opiniâtreté, et le général John Prideaux fut tué le 19 juillet 1759 par un tir de mortier venu de son propre camp. Le colonel américain William Johnson prit alors le commandement de l’armée du défunt, écrasa le 24 juillet un détachement français venu secourir les assiégés, obtenant ainsi le lendemain la reddition du fort Niagara. Aucun Icaunais ne semble avoir participé à cette bataille.

       Pendant ce temps, dans la vallée de l’Ohio, l’armée du général Jeffrey Amherst arriva le 23 juillet 1759 devant le fort Carillon, défendu par les deux mille soldats et miliciens du général François Charles de Bourlamaque. Ce dernier profita de la nuit pour quitter le fort avec la plupart de ses hommes, ne laissant sur place que quatre cents combattants pour donner le change. Cette unité abandonna le fort à son tour trois jours plus tard, dans la nuit du 26 juillet, en y mettant le feu avant de se replier sur le fort Saint-Frédéric. Quand le général anglais Jeffrey Amherst parvint avec son armée à ce second poste fortifié, le 4 août 1759, il le trouva lui aussi abandonné et incendié. La garnison s’était retirée sur l’île aux Noix, sur la rivière Richelieu.

       Le repli général des Français sur tous les fronts incita les alliés amérindiens de la France à déposer les armes. Le 25 août 1759, les Iroquois catholiques conclurent en effet un traité de paix à Oswegatchie avec des émissaires britanniques. Ils furent imités en cela par les Hurons de Lorette le 5 septembre suivant. Cette défection des nations amérindiennes sonna le glas de la domination française au Canada, tandis que la ville de Québec était toujours assiégée par le général James Wolfe.

       Le marquis Louis Joseph de Montcalm joua son va-tout le 13 septembre 1759. Ce jour-là, sur les hauteurs de la ville fortifiée de Québec, il livra hors des murs de la ville la bataille des plaines d’Abraham, alignant face aux neuf mille soldats réguliers du général anglais James Wolfe les cinq bataillons métropolitains qui lui restaient et plusieurs compagnies franches de la Marine, soit quatre mille soldats réguliers, ainsi que douze mille miliciens canadiens et guerriers amérindiens qui étaient demeurés fidèles à la France. En une demi-heure de combat, il fut cependant vaincu par des forces britanniques très disciplinées. Au cours de la fusillade, son adversaire James Wolfe fut tué, mais il fut lui-même mortellement blessé au combat.

       Le marquis de Montcalm mourut à Québec le 14 septembre 1759, un jour après sa défaite. Trois jours plus tard, le 17 septembre, Claude Nicolas Roch de Ramezay remit l’acte de capitulation de Québec au général irlandais George Townshend, qui avait succédé au défunt général anglais James Wolfe, et les troupes britanniques purent prendre possession de la ville le lendemain. Le 19 septembre 1758, le corps embaumé du marquis de Montcalm quitta Québec en bateau pour être rapatrié en France. Le lendemain, 20 septembre, la garnison française vaincue fut autorisée par les Britanniques à se replier sur la ville encore libre de Montréal. Un jour plus tard, le 21 septembre 1758, toute la population des campagnes qui s’était réfugiée derrière les murs de Québec fut enfin conviée à rentrer dans ses foyers.

 

LA DIVERSION IRLANDAISE

 

       Pour compenser ses défaites répétées dans les colonies, le roi Louis XV voulut envahir d’Ecosse et y restaurer la dynastie écossaise des Stuart, représentée par le prince Jacques François Edouard Stuart, dit le Vieux Prétendant. Une manœuvre de diversion fut imaginée pour tromper la flotte britannique : la flotte française réunie à Brest, confiée au maréchal Hubert de Conflans, ne partirait qu’après le départ d’une flottille de cinq frégates, rassemblée à Dunkerque, qui devait faire en sorte d’attirer l’attention de l’ennemi. Placée sous le commandement du corsaire François Thurot, qui était issu d’une famille irlandaise nommée O’Farrell, la flottille de diversion quitta le port de Dunkerque le 15 octobre 1759. Elle transportait un contingent de soldats, dont certains avaient été choisis parmi les rescapés des trois bataillons de Cambis, d’Artois et de Bourgogne qui avaient défendu Louisbourg en 1758.

     Au nombre des rescapés qui partirent avec le corsaire François Thurot, quatre combattants étaient originaires de l’Yonne : le capitaine François Philibert de Morot, le lieutenant Jean Louis de Morot et les deux soldats Thomas Condran et Toussaint de Despence, tous détachés du régiment d’Artois. Il y avait aussi un anspessade de ce même régiment qui pourrait être Icaunais : Georges Thomas Poteriot.

       Après un arrêt à Ostende, le 16 octobre 1759, la flottille de diversion fut drossée par le mauvais temps jusqu’à Gothembourg, en Suède, où elle arriva le 27 octobre. Elle n’en repartit que le 14 novembre 1759. Le même jour, au large de la Bretagne, la flotte française du maréchal Hubert de Conflans fut détruite par la flotte de l’amiral anglais Edward Hawke lors d’une bataille navale livrée dans la baie de Quiberon. La flottille du corsaire François Thurot, quant à elle, fut endommagée par une tempête. Après avoir perdu deux frégates, l’une ayant sombré et l’autre ayant quitté son cap pour retourner en France, le corsaire malchanceux n’arriva qu’avec trois navires en mauvais état au port de Bergen, en Norvège, ceci le 17 novembre 1759.

       Au même moment, au Canada, le soldat icaunais Pierre Alexandre Legrand, qui avait sans doute été fait prisonnier par les Britanniques, vivait ses derniers instants. Cet homme du régiment d’infanterie du Berry décéda en effet à l’hôpital général de Québec le 17 novembre 1759, deux mois après la reddition de la ville.

       Le 5 décembre 1759, après avoir fait réparer à Bergen les trois frégates qui lui restaient, le corsaire François Thurot quitta les côtes norvégiennes avec ses navires pour se rendre aux îles Féroé. Il y fit escale au port de Vestmanna le 28 décembre 1759, dans l’intention d’y séjourner à l’abri des tempêtes hivernales.

       Pendant cette halte dans ce petit port de pêche, un soldat icaunais du second bataillon du régiment d’Artois, Philibert Pétillot, mourut en captivité en Angleterre le 1er janvier 1760. Il s’agissait d’un ancien compagnon de combat des quatre ou cinq Icaunais qui venaient d’arriver aux îles Féroé avec le corsaire François Thurot. Fait prisonnier une première fois lors de la chute de Louisbourg, le 26 juillet 1758, il avait été libéré avec eux par les Britanniques et avait débarqué à Calais le 17 décembre de la même année. Reconnu bon pour le service armé lors d’une revue des troupes effectuée en France, en 1759, il était reparti au combat mais avait de nouveau été capturé par les Anglais, dans des circonstances qui restent inconnues.

       Le 24 janvier 1760, profitant d’une accalmie, le corsaire François Thurot reprit la mer avec ses trois frégates. Au même moment, au Canada, les soldats qui avaient été vaincus le 13 septembre 1759 à la bataille des plaines d’Abraham, à l’entrée de Québec, pansaient leurs plaies en la ville encore libre de Montréal. L’un d’eux, dont le genou droit avait été fracassé lors du bombardement de Québec, entra à l’hôpital général de Montréal le 25 janvier 1760. Il s’agissait du soldat icaunais Jean-Baptiste Campenon, du second bataillon du régiment de Guyenne.

       Le 16 février 1760, le corsaire François Thurot jeta l’ancre dans une baie de l’île écossaise d’Islay, appelée la baie de Claggain, qu’il quitta le 19 février suivant pour voguer vers l’Irlande. Le 21 février 1760, avec ses mille soldats, dont les quatre ou cinq Icaunais du régiment d’Artois, il débarqua sur les côtes irlandaises et attaqua le château de Carrickfergus, près de Belfast, défendu par les cent cinquante hommes du lieutenant-colonel John Jennings qui capitulèrent rapidement. Les vainqueurs ne purent cependant profiter bien longtemps de leur conquête. Ayant été averti qu’une flotte britannique approchait, le corsaire François Thurot dut reprendre la mer dès le 26 février pour tenter de regagner la France. Ses trois frégates furent rattrapées au nord de l’île de Man, le 28 février 1760, par trois navires britanniques commandés par le capitaine John Elliott, qui engagea le combat. Le corsaire François Thurot fut tué au cours de cette bataille navale, ainsi que le soldat icaunais Thomas Condran. Les Britanniques s’emparèrent des trois frégates françaises, qu’ils laissèrent au port de Ramsey, sur l’île de Man, puis ils transportèrent leurs prisonniers français jusqu’à Belfast, en Irlande, où ils furent enfermés pendant trois mois.

 

LA CAMPAGNE DE 1760

 

       Pendant ce temps, au Canada, le moral des troupes qui s’étaient repliées sur la ville de Montréal était au plus bas. Pour galvaniser les combattants français qui se morfondaient, le général François Gaston de Lévis décida de passer à l’offensive en tentant de reprendre Québec avant l’arrivée des renforts britanniques par bateaux. Le 20 avril 1760, il quitta donc Montréal à la tête de tous les soldats valides qu’il put réunir, et en trois heures de combat acharné il sortit enfin victorieux de la bataille de Sainte-Foy, livrée le 28 avril contre l’armée britannique du général écossais James Murray. Ce dernier perdit onze cents hommes au cours de la rencontre et le général français cinq cent soixante-douze. Parmi les blessés, on recensa le sergent icaunais Jean Gaston Choupe, du régiment de la Sarre. Un autre homme, le soldat icaunais Etienne Godefroy, du régiment du Berry, fut capturé pendant la bataille.

       Dans la foulée, la victoire française de Sainte-Foy permit au général François Gaston de Lévis de mettre le siège à la ville de Québec, défendue par les hommes du général écossais James Murray. Au cours des actions menées sous les murs de la ville assiégée, le soldat icaunais Claude Crédé, du régiment du Berry, fut blessé à l’oreille gauche par le tir d’un défenseur embusqué britannique.

       Le 9 mai 1760, une frégate anglaise vint jeter l’ancre sous la ville, suivie le 15 mai de deux autres frégates qui annonçaient l’arrivée imminente d’une flotte venue en renfort de Grande-Bretagne. Comprenant que la partie était désormais perdue, le général François Gaston de Lévis décida de lever aussitôt le siège de Québec, et le 16 mai 1760 il se replia avec ses troupes vers Montréal. Sur les six Icaunais ayant participé à la bataille de Sainte-Foy et au siège de Québec, affectés aux régiments du Berry et de la Sarre, il n’y eut que trois combattants qui en sortirent indemnes, à savoir les soldats Joseph Riotte et Nicolas Trinquet et le capitaine François Philippe Gau des Voves. Fait prisonnier par les Britanniques, le soldat Etienne Godefroy, du régiment du Berry, mourut à l’hôpital général de Québec le 19 mai 1760.

       En Irlande, les militaires français qui avaient été vaincus le 28 février 1760 à la bataille navale livrée par le corsaire François Thurot, au large de l’île de Man, furent bientôt remis en liberté. Après trois mois de captivité à Belfast, où ils furent très bien traités, ils donnèrent un grand bal en l’honneur des dames de la ville puis rentrèrent en France, débarquant au port breton de Morlaix le 20 mai 1760. Parmi eux, il y eut trois combattants icaunais, à savoir le soldat Toussaint de Despence, le lieutenant Jean Louis de Morot et le capitaine François Philibert de Morot. Il y eut également l’anspessade Georges Thomas Poteriot, qui pourrait être natif de l’Yonne.

       Pendant ce temps, en Allemagne, les armées de Prusse et du Hanovre étaient en difficulté face à celles de la France et de l’Autriche. Le 23 juin 1760, en effet, les Prussiens furent vaincus en Silésie par les Autrichiens, à la bataille de Landshut, et le 10 juillet suivant, dans la Hesse, les Français sortirent victorieux de la bataille de Korbach, livrée contre l’armée hanovrienne de Ferdinand de Brunswick. Il fallut que le roi de Prusse Frédéric II de Hohenzollern intervînt en personne pour rétablir à son profit la situation : le 15 août 1760, face à l’armée autrichienne du baron letton Ernst Gideon von Laudon, il remporta en Silésie la bataille de Legnica, ou Liegnitz.

       Au même moment, au village amérindien d’Oswegatchie, situé dans le nord de l’Etat actuel de New York, des émissaires britanniques rencontrèrent au mois d’août des délégués amérindiens des sept nations confédérées du Canada, représentant les trois nations iroquoises demeurant à Kahnawaké, Oswegatchie et Akwesané, la nation des Abénaquis vivant à Wolinak et Odanak, la nation des Algonquins vivant à Kanesataké, la nation des Népissingues résidant à Oka et la nation des Hurons qui demeurait à Lorette. Les Britanniques conclurent une paix séparée avec l’ensemble de ces sept nations amérindiennes alliées de la France, leur promettant à toutes la jouissance de leurs terres et le libre exercice de la religion catholique.

       Dès lors, les Français devaient affronter seuls l’assaut final de toutes les forces britanniques se dirigeant sur Montréal. Le général anglais Jeffrey Amherst, devenu commandant en chef des troupes de Grande-Bretagne en Amérique du Nord, avait planifié l’attaque simultanée de la ville par trois armées : celle du général écossais James Murray, qui remonterait le fleuve Saint-Laurent depuis Québec ; puis celle du général irlandais William Haviland, qui descendrait la rivière Richelieu depuis le lac Champlain ; et enfin sa propre armée, qui descendrait le fleuve Saint-Laurent depuis le lac Ontario. Ces trois armées devaient prendre Montréal en tenailles.

       L’armée du général anglais Jeffrey Amherst, qui un an plus tôt s’était emparée sans combat des fort Carillon et Saint-Frédéric, arriva le 16 août 1760 en vue de l’île d’Oracointon, sur le lac Ontario, où trois cents soldats, miliciens et marins français s’étaient retranchés à l’abri du fort Lévis, sous les ordres du vaillant capitaine Pierre Pouchot de Maupas, officier du second bataillon du régiment du Berry. Cet homme courageux, qui avait défendu le fort Niagara l’année précédente contre l’armée du défunt général anglais John Prideaux, refusa une fois encore de capituler, face aux onze mille soldats et miliciens du général anglais Jeffrey Amherst et aux sept cents guerriers iroquois du colonel américain William Johnson. Il ne rendit les armes qu’au bout de neuf jours de combat, le 25 août 1760, quand le fort fut en ruines.

       L’armée du général irlandais William Haviland, quant à elle, parvint le 16 août 1760 en vue de l’île aux Noix, dans les eaux de la rivière Richelieu, où se tenait une garnison française de mille sept cents hommes placée sous le commandement du colonel Louis Antoine de Bougainville. Ce dernier, contrairement au capitaine Pierre Pouchot de Maupas, ne jugea point utile d’opposer une résistance résolue aux trois mille quatre cents combattants du général irlandais. Le 27 août 1760, il abandonna l’île dans la nuit pour se replier aussitôt avec ses troupes sur Montréal.

       Assiégée par la flotte britannique, la ville de Montréal fut bientôt encerclée par les trois armées des généraux Jeffrey Amherst, James Murray et William Haviland. Le gouverneur français Pierre Rigaud de Vaudreuil, constatant que tout espoir était vain désormais, finit par remettre au général Jeffrey Amherst, le 8 septembre 1760, l’acte de capitulation de Montréal et du Canada. Dès lors, pour récupérer un jour sa colonie nord-américaine, le roi de France Louis XV de Bourbon n’avait d’autre issue que de gagner la guerre de Sept ans sur les champs de bataille européens.

       En attendant la fin du conflit, les Britanniques durent administrer leur conquête. Les 15 et 16 septembre 1760, au village amérindien de Kahnawaké, ils confirmèrent le traité de paix qu’ils avaient conclu un mois plus tôt à Oswegatchie avec les sept nations amérindiennes confédérées du Canada. Le 23 septembre suivant, ils prirent possession de la ville de Trois-Rivières, obligeant les habitants à leur remettre leurs armes et à prêter un serment de soumission au roi Georges II d’Angleterre. Au mois d’octobre, le Canada étant enfin pacifié, fut alors établie une administration militaire sur l’ensemble du pays, avec le général écossais James Murray à la tête du district de Québec, le général anglais Thomas Gage à la tête du district de Montréal, et le lieutenant-colonel anglais Ralph Burton à la tête du district de Trois-Rivières.

       Restait la question des nombreux prisonniers de guerre français. On leur laissa le choix de rentrer en France ou de rester comme colons au Canada. Six Icaunais demandèrent à être rapatriés en métropole : le soldat Claude Crédé, du régiment du Berry, les deux soldats Jean Louis Dan et Jean-Baptiste Campenon, du régiment de Guyenne, et le soldat Joseph Riotte, le sergent Jean Gaston Choupe et le capitaine François Philippe Gau des Voves, du régiment de la Sarre. Le soldat icaunais Pierre André Vaudoux, du régiment de Guyenne, avait déjà quitté le pays un mois plus tôt avec son épouse, et le cuisinier icaunais Charles Bonnet, qui avait travaillé pour le marquis Louis Joseph de Montcalm, fit de même avec sa propre femme. En fait, sur les dix militaires icaunais qui vivaient encore en Amérique du Nord avant la prise de Montréal par les Britanniques, il n’y en eut que trois qui décidèrent finalement de ne point rentrer en France, à savoir le soldat Nicolas Trinquet, du régiment de la Sarre, le soldat Pierre Guyot, du régiment de Royal-Roussillon, et le soldat Jean Pagé, qui servait dans un régiment de l’armée de Montcalm qui reste inconnu.

 

ÉPILOGUE

 

       Le 25 octobre 1760, tandis que les soldats et officiers français qui avaient été vaincus au Canada voguaient sur l’océan pour rentrer en France, le roi d’Angleterre Georges II de Brunswick-Lünebourg mourut à Londres en son palais de Kensington. Son petit-fils lui succéda aussitôt, sous le nom de Georges III. Le nouveau roi n’était pas enclin à poursuivre la guerre contre la France, car son pays croulait alors sous une dette publique énorme. Même si le roi de Prusse Frédéric II de Hohenzollern ne cessait de rebondir après chaque défaite, parvenant à vaincre les Autrichiens le 3 novembre 1760 à la bataille de Torgau, en Saxe, après que la ville de Berlin eut été mise à sac par les Russes et les Autrichiens un mois plus tôt, le 3 octobre 1760, les sujets britanniques étaient las d’une guerre qui leur coûtait beaucoup.

       L’anéantissement de l’empire colonial français, en Inde et en Amérique, permit cependant au nouveau souverain anglais de redéployer ses troupes sur le théâtre militaire européen, pour tenter d’imposer plus rapidement la paix à la France. Mais aussi longtemps que la Russie, la Suède et l’Autriche continuaient de se battre aux côtés des Français, ceux-ci pouvaient toujours renverser la situation en gagnant la guerre en Europe, pour ensuite réclamer la restitution de leurs colonies.

       Les espoirs d’une victoire française finale se brisèrent le 25 décembre 1761. Ce jour là, à Saint-Pétersbourg, mourut l’impératrice de Russie Elisabeth Ière Romanova qui laissa son trône à son neveu, l’empereur Pierre III de Holstein-Gottorp. Né à Kiel en Allemagne, grand admirateur du roi de Prusse Frédéric II de Hohenzollern et de ses prouesses militaires, le nouveau souverain russe signa aussitôt la paix avec son héros prussien, menaçant de se retourner contre les anciens alliés français, suédois et autrichiens de sa défunte tante. Cette défection inattendue incita les Suédois à se retirer eux aussi de l’alliance avec la France, pour ne point être entraînés dans sa chute désormais inéluctable. Le 22 mai 1762, à Hambourg, ils signèrent donc à leur tour une paix séparée avec la Prusse, sans vainqueur ni vaincu.

       Dès lors, le roi Louis XV chercha à limiter l’ampleur de sa future défaite par les voies diplomatiques. En 1762, par un traité secret conclu à Fontainebleau, il céda à son cousin et allié Charles II de Bourbon, roi d’Espagne, toute la partie occidentale de la Louisiane, à l’ouest du Mississippi, ainsi que la ville de la Nouvelle-Orléans, à l’est de ce fleuve. Il empêchait ainsi la Grande-Bretagne de revendiquer ce territoire lors des négociations de paix qui s’étaient ouvertes un an plus tôt.

       La paix fut signée à Paris le 10 février 1763. Elle ne mettait fin qu’au conflit qui opposait la Grande-Bretagne à la France et à l’Espagne réunies. Les Britanniques reçurent des Français l’Acadie, le Canada et la Louisiane orientale, à l’exception de la Nouvelle-Orléans, la France ne récupérant que la Guadeloupe et la Martinique en plus de Saint-Pierre et Miquelon. Les Espagnols cédèrent à la Grande-Bretagne la Floride, les Britanniques reconnaissant en échange la cession à l’Espagne, par les Français, de la Louisiane occidentale et de la Nouvelle-Orléans. La France récupéra aussi des comptoirs en Inde et l’île de Gorée, au Sénégal, et les colons français du Canada obtinrent le droit d’émigrer en France dans un délai de dix-huit mois.

       Cinq jours après la signature du traité de Paris, un autre traité de paix fut signé le 15 février 1763 au château d’Hubertsbourg, près de Leipzig, qui mettait un terme aux hostilités opposant cette fois la Prusse à l’Autriche et à la Saxe. Les Prussiens, qui avaient remporté la guerre aux côtés des Britanniques, reçurent des Autrichiens la Silésie, appartenant jusque lors au royaume de Bohême, et obtinrent en outre du prince électeur de Saxe qu’il renonçât à la couronne royale de Pologne.

       À l’issue de la guerre de Sept ans, les gains territoriaux du roi de Prusse furent modestes en comparaison de ceux du roi d’Angleterre. Ils préparaient cependant la voie de l’unification du peuple allemand un siècle plus tard, ceci en renforçant au sein du Saint Empire la puissance prussienne face à l’hégémonie autrichienne. Si le traité d’Hubertsbourg ouvrait des perspectives en Allemagne, le traité de Paris fut en fait un marché de dupes. L’ampleur des territoires coloniaux cédés par les Français aux Britanniques et aux Espagnols menait tout droit à une autre guerre. Il s’agissait d’un piège tendu par le duc Etienne François de Choiseul, ministre de la Guerre et de la Marine, qui était persuadé que, n’étant plus menacés par la puissance militaire française en Amérique du Nord, les colons américains n’auraient plus besoin de la protection britannique et finiraient donc par se soulever contre la Grande-Bretagne. Dans l’attente de ce futur conflit, qui affaiblirait les Anglais et rétablirait la parité des forces en Europe, le duc visionnaire se mit à réformer l’armée et la marine.

       Le bilan de la guerre de Sept ans, pour les trente-cinq soldats et officiers natifs de l’Yonne qui partirent se battre sur le continent nord-américain, est le suivant :

- Huit moururent sur place : les soldats Vincent Lamarre, Etienne Godefroy, Claude Olivier Blénon, Pierre Alexandre Legrand, Edmé Roch Lenoir et puis Edmé Augustin Thomas, et peut-être aussi les soldats Nicolas Tardy et Melchior Duneau.

- Deux moururent au Royaume-Uni : les soldats Thomas Condran et Philibert Pétillot.

- Trois restèrent au Canada après 1760 : les soldats Pierre Guyot, Nicolas Trinquet et Jean Pagé, qui n’avaient pas été blessés pendant la guerre.

- Sept retournèrent dans l’Yonne : les soldats Edmé Chevigny, Godefroy Rousseau et Joseph Riotte, le sergent Jean Gaston Choupe, l’enseigne François Robinet de Fontenette, le lieutenant Jean Louis de Morot et enfin le capitaine François Philibert de Morot. Parmi ceux-ci, un seul avait été blessé pendant la guerre, le sergent Jean Gaston Choupe, qui fut admis en 1761 à l’hôtel royal des Invalides à Paris.

- Les quinze autres sont rentrés en France sans retourner dans l’Yonne. Parmi eux, deux avaient été blessés pendant la guerre, les soldats Jean-Baptiste Campenon et Claude Crédé, qui furent admis en 1761 à l’hôtel royal des Invalides à Paris. Il y eut ensuite une autre admission d’un Icaunais aux Invalides, en 1762, à savoir celle du soldat Jean Husset qui avait peut-être été blessé lui aussi.

 

dans la seconde partie de l’article seront présentées les biographies de tous les soldats et officiers icaunais des régiments métropolitains