SUÈDE Christine Vasa, reine de

° Stockholm, 17 XII 1626 ; † Rome, 19 IV 1689.

- f. de Gustave II Adolphe, roi de Suède (1611-1632), & Marie Eléonore de Brandebourg.

- Son père ayant été tué en Allemagne le 16 XI 1632, à la bataille de Lutzen, elle devient reine de Suède dès l'âge de 6 ans, sous la tutelle d'un conseil de régence dirigé par le chancelier Axel Oxenstierna. Orpheline de son père, elle est séparée en 1636 de sa mère allemande, que l'on doit exiler à cause du mépris que celle-ci affiche pour la Suède et les Suédois. La jeune reine est une élève douée : en plus du suédois et de l'allemand, qui sont les deux langues de ses parents, elle apprend à parler le latin, le français et le hollandais, et s'intéresse au grec, à l'espagnol et à l'italien. On lui donne une éducation masculine, pensant mieux la préparer ainsi à son métier de monarque. Ceci créera en elle un conflit permanent entre sa nature féminine, qu'elle finira par mépriser, et la virilité qu'elle croit nécessaire de revêtir pour exercer correctement le pouvoir. Pendant sa minorité, toutefois, elle laisse libre cours à ses sentiments féminins : de 1638 à 1644, elle éprouve une vive passion juvénile pour son cousin germain Charles Gustave, qu'elle promet d'épouser dès que le moment sera venu.

- Le 17 XII 1644, le jour de ses 18 ans, elle est déclarée majeure par les états généraux réunis à Stockholm. Elle renonce alors à son projet de mariage, pour ne pas perdre la plénitude du pouvoir régalien au profit de son époux. Dès 1645, elle se met cependant à manifester un amour platonique pour deux jeunes courtisans de sexes opposés : le sémillant Magnus Gabriel de La Gardie, et la superbe Ebba Sparre (grand-tante du général Joseph de Sparre*). Voulant gouverner seule, elle prend ses distances avec le vieux chancelier Axel Oxenstierna, son ancien tuteur, tout en maintenant ses deux favoris à l'écart du pouvoir.

- Après la signature, à Münster et Osnabrück, du traité de Westphalie (24 X 1648), la reine se sépare en 1649 de son chancelier, devenu fort encombrant en temps de paix car il l'empêche de jouir pleinement de son pouvoir, dont elle n'entend assumer que les droits et non les devoirs. Elle ne veut point se mettre au service de l'Etat en se trouvant un mari qui plaise au clergé, à la noblesse, à la bourgeoisie et à la paysannerie, les quatre ordres sociaux du pays ; elle préfère garder toute sa liberté en restant célibataire, pour régner sans partage et mettre l'appareil de l'Etat au service de ses propres centres d'intérêt. Profitant de la paix et de la gloire personnelle que lui procure la victoire finale des armées suédoises, elle fait venir à Stockholm savants et artistes, qu'elle n'a pourtant pas les moyens d'entretenir. Ne pouvant guère payer les fonctionnaires du pays, ou les officiers qui ont lutté en Allemagne, elle cède à la facilité en anoblissant moult roturiers, qui sont alors dispensés de l'impôt, et en distribuant aux nobles des titres de comtes ou de barons, assortis de fiefs territoriaux puisés dans les biens fonciers appartenant à la Couronne.

- Cette politique irresponsable, qui renforce énormément le pouvoir de la noblesse suédoise, ne peut que déplaire à la bourgeoisie et à la paysannerie, qui voient leurs charges s'accroître d'autant pour renflouer les caisses de l'Etat. La révolte des bourgeois et paysans lésés éclate lors des états généraux tenus à Stockholm, ceci de juin à octobre 1650. La souveraine parvient toutefois à calmer les esprits, par des promesses qu'elle n'aura pas la sagesse, ou la simple volonté, d'honorer (elle multipliera par la suite la cession de fiefs et de titres). Mais par toutes ses manœuvres, elle réussit à atteindre ses objectifs personnels : conforter son pouvoir en se faisant couronner reine de Suède dès la fin des états généraux, le 30 X 1650, et régler la question de son célibat définitif en faisant proclamer, comme prince héritier, son cousin germain Charles Gustave.

- S'étant affranchie du devoir de se marier et de procréer, la reine peut continuer à régner seule, en s'adonnant à ses seules passions et plaisirs. Tombée malade à force de se plonger, sans modération, dans les livres, elle est sauvée par un médecin natif de Sens, Pierre Bourdelot*, arrivé à Stockholm au début de 1652 : il la met à la diète avec des bouillons de volaille et de veau, lui prescrit un bain tous les jours, lui recommande de réduire ses heures de lecture et de dormir plus longtemps, et entreprend de la détendre en l'occupant à des frivolités. Pour efficace qu'il soit, ce remède déplaît fort aux Suédois, qui accusent le médecin sénonais, trop enjoué, facétieux et malicieux à leur goût, d'inciter leur souveraine à la paresse. La reine est obligée de disgracier Magnus Gabriel de La Gardie, son favori, chef de file des détracteurs, pour protéger le médecin qui l'a soignée. Elle se trouve aussitôt un nouveau protégé en la personne d'un bel officier de cavalerie, le jeune comte Claes Tott, pour qui elle se met à nourrir des sentiments platoniques (celui-ci sera ambassadeur de Suède à la cour du roi de France en 1654, 1657 et 1661).

- Sous l'influence d'Hector-Pierre Chanut, ambassadeur de France à Stockholm depuis 1645, la reine de Suède s'est détournée peu à peu de la religion luthérienne, beaucoup trop austère et contraignante pour une femme éprise de liberté comme elle, ne voulant s'unir à aucun homme. Elle s'intéresse de plus en plus au catholicisme, qui valorise justement la virginité et le célibat qu'elle revendique mais qu'on lui reproche dans son royaume. C'est l'ambassadeur d'Espagne, don Antonio Pimentel, arrivé à Stockholm le 12 août 1652, qui finit de la convaincre de rompre tout à fait avec la religion d'Etat de son pays. La reine de Suède décide donc d'abandonner les rênes du pouvoir, dont elle n'a jamais apprécié les contraintes, pour ne garder que ce qui l'intéresse vraiment : les privilèges régaliens. Voltaire écrira plus tard qu'elle aimait mieux « converser avec des savants que de régner sur un peuple qui ne connaissait que les armes ». Trop à l'étroit dans son pays, la reine ne pense qu'à vivre en toute liberté sous d'autres cieux.

- Le 16 VI 1654, elle abdique en la ville d'Uppsala, et son cousin germain est aussitôt couronné roi, sous le nom de Charles X Gustave. Avec elle s'achève la grande dynastie suédoise des Vasa, à la tête du royaume depuis 1523. La jeune femme reste néanmoins sa propre souveraine, avec un droit de justice absolue sur les gens de sa maison, tout en bénéficiant des revenus de plusieurs gros fiefs viagers, tant en Suède qu'en Allemagne. Elle quitte alors son pays pour aller vivre en Belgique, sous la protection attentive de l'Espagne. Les Suédois sont soulagés par le départ de leur reine. Son règne a été un échec car elle n'a apporté à son peuple, pragmatique de nature, ni la prospérité, ni la paix civile : elle a largement contribué à vider les caisses de l'Etat par des dépenses somptuaires, et elle a rompu le fragile équilibre entre les quatre ordres sociaux de Suède en favorisant trop la noblesse, voire le clergé, aux dépens de la bourgeoisie et de la paysannerie.

- Arrivée à Bruxelles le 17 VIII 1654, la jeune souveraine s'y convertit secrètement au catholicisme, le 24 XII 1654. Sa situation, en Belgique, devient vite inconfortable. Dès le début de l'été suivant, en 1655, son cousin Charles X Gustave rallume la guerre dans le nord de l'Europe, en se lançant à l'assaut de la Pologne. La reine Christine a donc du mal à percevoir les revenus de ses fiefs viagers. Dans sa quête de liberté, elle supporte de moins en moins bien, par ailleurs, la protection trop rapprochée des Espagnols. Elle quitte par conséquent Bruxelles le 22 IX 1655, et se dirige vers l'Italie. En chemin, elle s'arrête à Innsbrück, où elle accepte d'adhérer officiellement et solennellement au catholicisme, le 3 XI 1655, à la demande du pape. Pour plaire au nouveau souverain pontife, Alexandre VII, elle prend le nom officiel de Christine Alexandre.

- Arrivée à Rome le 21 XII 1655, elle s'installe sur place au palais Farnèse (où se trouve actuellement l'ambassade de France, depuis 1874). Elle déçoit vite le pape et toutes les autorités romaines, car elle n'est ni riche, ni belle, ni élégante, et encore moins une sainte en puissance, apte à rejoindre sainte Brigitte au firmament des têtes auréolées. On la soupçonne d'être débauchée car elle ne cache point son ennui lors des cérémonies religieuses et marque bien sa préférence pour les divertissements. On lui reproche aussi de s'entourer de gens douteux, dont les mœurs sont jugées scandaleuses par le Saint-Siège. L'extravagance de ses tenues vestimentaires achève de la déconsidérer.

- À Rome, elle rompt définitivement avec l'Espagne, pour se rapprocher de la France qui veut s'emparer du royaume de Naples, détenu par les Espagnols depuis l'an 1500. La tentative du duc de Guise ayant échoué en 1654, Mazarin entend séduire les patriotes napolitains en leur proposant un souverain de transition, pour lequel ils puissent lutter contre l'Espagne aux côtés des Français : il compte leur proposer la reine Christine, dont la réputation, en dehors de Rome, est intacte, à la fois comme «ange de la paix», qui est parvenu à mettre fin à la guerre de Trente Ans, et comme «sainte», qui a eu l'humilité de renoncer au trône pour devenir catholique. Le ministre français invite donc l'ancienne reine de Suède en France, afin de préparer avec elle la conquête du royaume de Naples.

- C'est en se rendant à Compiègne, au départ de Rome, que la reine Christine est passée dans l'Yonne. Partie de la Ville sainte le 20 VII 1656, ceci au grand soulagement du pape, elle arrive à Marseille le 29 VII, avec une suite fort restreinte, composée de son secrétaire Gabriel Gilbert, du marquis Gian Rinaldo Monaldesco (patriote napolitain), du comte Francesco Maria Santinelli et de son jeune frère le comte Ludovico Santinelli, du comte Hannibal Thienen, du chevalier Ferreti, et d'une trentaine de serviteurs. Avec cet entourage réduit, la reine compte voyager incognito, mais le roi Louis XIV et Mazarin en ont jugé autrement : ils ont organisé pour elle un véritable voyage officiel, le premier qu'un souverain étranger entreprenne en France depuis la visite de Charles-Quint en 1539 ; des consignes très précises ont été adressées à toutes les grandes villes de passage, pour que l'ancienne reine de Suède soit reçue avec tous les honneurs dus au roi de France en personne. La reine Christine est accueillie à Marseille par Hubert de Lionne, au nom de Louis XIV et de son ministre.

- À Lyon, où le cortège officiel arrive le 14 VIII 1656, la reine retrouve deux amis personnels, qu'elle invite à faire partie de sa suite pendant le voyage : l'ancien diplomate Hector-Pierre Chanut, et l'ancien médecin natif de Sens, Pierre Bourdelot*. Se joignent aussi au cortège, à Lyon, le duc de Guise et l'archevêque de Reims, puis, au village de Bligny-lès-Beaune (21), le comte de Commarin, dépêché auprès de la reine en sa qualité de gouverneur d'Auxerre. Tout le monde arrive dans l'Yonne le 31 VIII 1656.

- Après avoir passé la nuit à Tonnerre, la reine Christine se rend à Auxerre. Son bref séjour suscite la curiosité de tous, dont celle du curé Standon, à Escolives, qui dans un registre notera que : « Le premier jour de septembre mil six cent cinquante-six, est arrivée à Auxerre Christine, reine de Suède, où on lui a fait une entrée célébrée par ordre et commandement du roi, tous les ordres de la ville y étant, et particulièrement le clergé à ce convié pour les belles vertus de cette princesse qui, ayant abjuré l'hérésie de Calvin, de laquelle son royaume est entaché, entre les mains de Notre saint-père le pape Alexandre VII, tenant à présent le Saint-Siège, s'est rendue, par une démission volontaire de sa couronne, recommandable à la postérité, ce que j'ai bien voulu ici insérer pour servir de mémoire aux temps à venir ».

- Comme dans toutes les villes qu'elle a déjà traversées, la reine de Suède est reçue à Auxerre avec tout le cérémonial réservé aux rois de France. Cette ville, toutefois, est une étape importante dans son voyage officiel, car c'est là que la jeune souveraine est enfin prise en charge directement par les officiers de la maison du roi, aussi bien pour son escorte que pour son entretien ; ceux-ci prennent le relais, aux portes d'Auxerre, de tous les soldats et des serviteurs qui ont été fournis, successivement, par les gouverneurs généraux de Provence, du Dauphiné et de Bourgogne.

- À Auxerre, comme ailleurs, l'accueil de la souveraine se déroule en trois étapes, selon un cheminement identique à celui qui a été organisé dans 

les autres villes épiscopales :

 

I L'accueil à l'entrée de la ville

- Arrivée le 1er IX 1656 à la barrière de la porte du Pont, la reine de Suède y est reçue par le clergé, la noblesse, les notables des différents corps constitués, ainsi que par la milice bourgeoise, ceci dans un grand concert de coups de canons, de tirs de mousquets, de sonneries de trompettes, sous les vivats de la population. Sont aussi présents tous les officiers envoyés par le roi de France, commandés par M. de Berlize, introducteur des ambassadeurs étrangers à la Cour, et M. de Sainctot, maître des cérémonies. Une estrade a été dressée sur place, ornée de tapisseries et de peintures, dont le portrait de la reine et une reproduction de ses armes. À la porte du Pont, la souveraine suédoise descend du carrosse d'apparat mis à sa disposition par le duc d'Epernon, gouverneur général de Bourgogne. Elle va s'asseoir dans une chaise de cérémonie, qui est portée par deux bourgeois de la ville vêtus d'une casaque, et qui est surmontée d'un dais frangé d'or et décoré aux armes de la Suède, soutenu par quatre échevins auxerrois. Du haut de sa chaise à porteurs, la reine écoute alors les discours de bienvenue qui sont prononcés, un genou à terre, d'abord par le représentant du clergé, puis par le grand bailli de la noblesse de l'Auxerrois (Charles de La Rivière), et enfin par les représentants des divers corps constitués. Au nom du maire (Gaspard Bérault), l'avocat Pierre Richer, en sa qualité de gouverneur sur le fait commun, met ensuite un genou à terre et présente les clefs de la ville à la reine.

 

II La procession dans les rues  

- La jeune souveraine peut alors franchir la barrière de la porte du Pont. Elle est transportée sur sa chaise à travers la ville, dans des rues aux façades décorées de tapisseries. Près de l'église des Jacobins, en un lieu appelé « le carré Chappotin », elle s'arrête quelque temps pour écouter de sa chaise un concert de musique, joué par des musiciens juchés sur une estrade. Elle va ensuite jusqu'au bout de la rue des Belles-Filles, à l'entrée de la place des Fontaines, où a été dressée une autre estrade, ornée de peintures qui évoquent les vertus de la reine, et les actions passées de son défunt père. Elle passe enfin avec son cortège devant l'hôtel de ville, où se trouvent une quatrième estrade mais aussi une fontaine, versant du vin en continuité. 

La jeune souveraine finit son parcours en se faisant porter jusqu'au parvis de l'église Saint-Etienne.

 

III La réception à l'évêché  

- La reine de Suède est accueillie à l'entrée de l'église par l'évêque d'Auxerre, Pierre de Broc. Elle descend aussitôt de sa chaise à porteurs pour aller s'agenouiller devant le prélat, qui lui donne sa bénédiction en l'aspergeant d'eau bénite, et qui prononce un discours de bienvenue. Elle est ensuite invitée, avec sa suite, à entrer dans la cathédrale, où elle est conduite jusqu'au chœur, décoré de tapisseries lui aussi. Là, dans cette partie noble de l'église, elle baise l'évangile et le crucifix, comme elle l'a fait dans toutes les cathédrales qu'elle a visitées au cours de son périple, puis l'évêque d'Auxerre entonne un Te Deum, qui est continué par des musiciens. À la fin du chant d'allégresse, le prélat mène la souveraine jusqu'au palais épiscopal, derrière la cathédrale, où les armes de son auguste invitée pendent à l'entrée. La reine y soupe avec son entourage et y passe toute la nuit, tandis que l'évêque se fait loger chez l'abbé Percheron, son grand vicaire, archidiacre de Puisaye.

 

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- Le bref séjour de la reine de Suède à Auxerre a coûté la somme de 3945 livres à la ville, ceci pour l'installation de quatre estrades décorées, la rétribution et le logement des musiciens venus de Troyes et d'ailleurs, la location d'un bateau et de vingt chevaux de selle, la confection de deux casaques neuves pour les deux porteurs, ainsi que pour la rémunération de douze charretiers, engagés par les édiles municipaux pour porter les bagages de la souveraine.

- Devenue, à Auxerre, l'invitée personnelle de Louis XIV, la reine Christine quitte la cité épiscopale le 2 IX 1656, et se rend à Joigny. À l'entrée de cette ville, les décharges de mousquets sont tellement bruyantes qu'elles effraient les chevaux qui tirent le carrosse où siège Pierre Bourdelot*. Ce dernier a le bras droit cassé lorsque les bêtes de trait, se cabrant, renversent soudain le véhicule. La souveraine suédoise passe néanmoins la nuit du 2 à Joigny.

- Le lendemain, 3 IX 1656, elle quitte la ville pour aller à Sens. Elle est accueillie à Véron par cent gentilshommes à cheval menés par le sieur Bourcier d'Orsigny, seigneur de Grand-Fontaine, exempt des gardes du corps du roi, deux escadrons de cavalerie, ainsi que 1200 archers de la milice bourgeoise de Sens, vêtus de casaques neuves et conduits par Miles Lhermite*, prévôt des maréchaux depuis 1653. Sont aussi présents quelque 200 porteurs de flambeaux, car le jour commence déjà à décliner. Avec ce cortège, la reine de Suède se rend jusqu'à l'octroi de Champbertrand, à l'entrée du finage de Sens, où elle est reçue en triomphe par 1500 bourgeois. Elle y écoute un discours prononcé par le sieur Moreau, le plus ancien capitaine de la milice bourgeoise, puis est saluée par un tir de mousquets. Elle continue ensuite son chemin jusqu'à la Porte commune de Sens, qui est ornée de trois de ses écussons. Là, accueillie par des salves de mousquets et des tirs nourris de trente canons, elle reçoit les hommages des habitants, ceci dans un discours de bienvenue prononcé, un genou à terre, par le prévôt Christophe Guillaume de Marsangy*. La reine s'installe alors dans un fauteuil d'apparat, surmonté d'un dais de drap d'or, qui lui est présenté par les sieurs Niel, Périer et Rigollot, et par les gros échevins. Elle reçoit les clefs de la ville, puis, au bruit des canons et à la lumière des flambeaux, elle pénètre dans la ville, portée dans son fauteuil par quatre gardes vêtus de casaques, dont la tête est ceinte d'une couronne de fleurs. Dans les rues tendues de tapisseries, elle passe sous des arcs de triomphe ornés de devises pompeuses, louant son abdication ainsi que sa récente conversion. L'une des devises, trônant sur la place du Marché, clame que la reine est « née de Jésus Christ », ce qui est un piètre anagramme de «Christine de Suède», car il y a un S de trop et un D en moins. La jeune femme s'arrête devant la maison du conseiller Benoit. Elle écoute alors une symphonie, et admire de même une perspective peinte au bout de la rue du Tambour-d'Argent par Bardot, artiste originaire de Montbéliard, avec pour frontispice les armes de France et de Suède, et celles de la ville de Sens, le tout surmonté du portait de la reine. Arrivée devant la cathédrale, après avoir vu un grand nombre d'acteurs qui récitaient ses louanges dans les rues, la jeune souveraine est accueillie au seuil de l'église par le clergé sénonais, et reçoit la bénédiction du préchantre, qui lui présente l'eau bénite et le crucifix. Elle entre ensuite dans la cathédrale, où l'archevêque Gondrin* la conduit jusqu'au chœur pour y entendre le Te Deum. Après quoi elle traverse la foule compacte des curieux pour se rendre à son logis, au sein du palais archiépiscopal. Elle y finit la soirée en recevant les compliments des membres du présidial dans un salon privé, puis les cadeaux du maire et des échevins dans sa chambre à coucher, où elle prend son souper en écoutant un concert de hautbois et de violons.

- Le lendemain, 4 IX 1656, la reine de Suède quitte Sens en grande pompe, et se dirige vers Fontainebleau où elle arrive le soir même. On ne sait si elle a vraiment apprécié la façon dont elle a été reçue pendant les trois jours qu'a duré son passage dans l'Yonne. On sait seulement qu'elle n'a point aimé l'insistance avec laquelle, dans la majorité des villes qu'elle a visitées en France, on lui a rappelé le fait qu'elle est une femme, en lui martelant, en guise de compliments, qu'elle est «la dixième muse», «l'honneur et la fierté de son sexe», ou bien «la fille resplendissante du grand Gustave». Elle a confié à son ami Pierre Bourdelot* son agacement d'être assimilée à la gent féminine, qu'elle méprise au point de ne vouloir être servie et entourée que par des hommes, en France comme ailleurs.

- L'entretien secret de la reine avec Mazarin n'a débouché sur rien de concret. L'invasion du royaume de Naples par les Français n'aura jamais lieu, à cause du rapprochement de la France et de l'Espagne auquel aspire déjà le ministre de Louis XIV, pour rétablir la paix en Europe. La guerre que le nouveau roi de Suède, Charles X Gustave, vient de déclencher dans le nord risque fort, en effet, de rallumer sous peu un conflit général sur tout le continent. Dans ce contexte, la reine Christine n'est qu'une pièce de rechange dans le jeu complexe de Mazarin, qu'il n'a invitée à venir le voir en France, avec faste, que pour mieux inquiéter les Espagnols et les amener à négocier une paix avantageuse. Son projet de s'emparer du royaume de Naples n'a été en fait qu'un leurre, agité pour arriver à d'autres fins.

- La reine de Suède reviendra en France en 1657, avec un petit équipage et sans bénéficier de l'accueil somptueux prodigué un an plus tôt. Dès qu'elle comprendra qu'elle a été trompée par Mazarin, et trahie par l'un de ses proches au profit de l'Espagne, elle réagira de manière violente en faisant exécuter le traître, le 10 XI 1657, dans la galerie des Cerfs du château de Fontainebleau. L'espion qu'elle a ainsi puni n'est autre que son grand écuyer, le Napolitain Gian Rinaldo Monaldesco, qui est passé lui aussi par les villes de Tonnerre, Auxerre, Joigny et Sens en 1656, lors du premier voyage de la souveraine en France.

- En 1658, ayant perdu tout espoir de monter sur le trône de Naples, la reine retournera en Italie, où elle nouera une amitié durable avec le cardinal Decio Azzolino. En 1660, après la mort de son cousin Charles X Gustave, elle ira passer quelques mois en Suède, dans le but d'y défendre ses intérêts. Elle séjournera ensuite à Hambourg en 1661, puis rentrera à Rome en 1662. En 1666, elle résidera de nouveau à Hambourg, puis se rendra en Suède en 1667. Dans son pays natal, on lui interdira d'écouter la messe catholique ailleurs qu'à l'ambassade de France. Dépitée, elle repartira pour Hambourg dès 1667, où elle nourrira quelque temps l'espoir de monter sur le trône de Pologne.

En 1668, elle mettra fin à ses pérégrinations en rentrant définitivement à Rome, où elle passera les vingt dernières années de sa vie, commeune « reine de comédie ».                                                  

NB : Toutes les dates indiquées dans cette notice sont celles du calendrier grégorien actuel. En Suède, sous la reine Christine, on utilisait encore le calendrier julien, contrairement à ce qui se pratiquait en France : selon celui-ci, la reine n'est pas née le 17 XII 1626, mais dix jours plus tôt, le 7 XII 1626. Pour la clarté de l'exposé, les dates de l'ancien style trouvées dans les documents suédois de l'époque ont été converties, ici, en dates du nouveau style, en ajoutant systématiquement dix jours à chaque date issue du calendrier julien.

 

Pierre Le Clercq

[Nordisk Familjebok ; Den Svenska Historien 6 ; Drottning Kristina / Sven Stolpe ; Première visite de Christine de Suède (...) / Comte F.U. Wrangel ; AL 1859 3-25 / A. Lechat ; AN 1877 16-17 ; L III 497 ; La ; B ; AD Yonne ; AM Auxerre ; BM Auxerre]