SPEARS Edward Louis

° Paris 16e (Passy), 7 VIII 1886 ; † Ascot, 27 I 1974.

- f. de Charles McCarthy Spiers, commissionnaire en marchandises, & Melicent Marguerite Lucy Hack (fille d'Edward Louis Hack & Lucy Aylmer).

- Arrière-petit-fils d'un Juif allemand de Francfort, Isaac Spiers, qui s'est établi en France à la Révolution puis au Royaume-Uni sous Napoléon Ier, petit-fils d'Alexander Spiers, qui est revenu en France sous Louis-Philippe afin d'enseigner l'anglais à Paris et qui a publié, en 1846, un dictionnaire bilingue franco-anglais, Edward Spears a vu le jour à Paris, ceci au 7 de la chaussée de la Muette. Né sous le nom de Spiers, trop peu britannique à son goût, il finira par le transformer en Spears en 1918.

- Il est élevé en France dans les deux langues, aussi bien en anglais qu'en français, mais jamais il ne pourra bien prononcer, en anglais, les -r- d'outre-Manche. Durant sa jeunesse, le lieu qu'il affectionne le plus est le manoir de Voutenay-sur-Cure, dans le sud de l'Yonne, près de la basilique de Vézelay, où il va souvent séjourner chez ses deux petits-cousins Marcel et Gaston Rafinesque, fils du docteur Rafinesque, propriétaire dudit manoir. Marcel et Gaston sont les petits-fils de l'une des sœurs d'Edward Hack, aïeul maternel du jeune Edward Spiers. Avec eux, ce dernier passe des journées idylliques, surtout pendant l'été où les trois enfants peuvent courir dans les bois de Voutenay, ou encore se baigner dans la Cure. Le docteur Rafinesque, issu d'une famille protestante, époux d'une femme hystérique qui mourra à l'asile d'aliénés, enseigne au jeune Edward Spiers l'histoire de la chevalerie, ainsi que le code de l'honneur chevaleresque. Il fait connaître à l'enfant les Grandeurs et servitudes militaires d'Alfred de Vigny, influant ainsi sur l'avenir du jeune Anglais.

- Edward Spiers débute une longue carrière de soldat en 1903, dès l'âge de 16 ans et demi, en s'engageant dans la milice irlandaise de Kildare, ceci dans le 3e bataillon des fusiliers royaux de Dublin. Devenu second lieutenant en 1904, il quitte la milice en 1906 pour entrer dans l'armée régulière, au 8e régiment royal de hussards irlandais. La même année, il publie une traduction en anglais du livre du général français François de Négrier : Les leçons de la guerre russo-japonaise. Mais, blessé lors d'un match de polo à Colchester, le 17 VI 1908, il est mis en demi-solde pendant sa très longue convalescence.

- En juin 1910, après avoir travaillé dans les services de renseignement du ministère de la Guerre à Londres, il est réintégré dans le service actif à l'armée, ceci dans le 11e régiment royal de hussards irlandais, comme sous-officier d'état-major. D'octobre 1911 à avril 1912, il travaille de nouveau pour les services de renseignement britanniques, pour élaborer un dictionnaire chiffré franco-anglais qui serait commun aux deux armées alliées de France et de Grande-Bretagne, en cas de guerre. Il finit par obtenir un congé, pour passer l'hiver de 1913 à 1914 à Berlin, où il est accueilli par le prince allemand de la Couronne.

- En 1914, il publie une traduction en anglais du livre du colonel français Monsenergue : Thèmes tactiques de la cavalerie. Puis, en mai, il est envoyé en mission à Paris par les services de renseignement britanniques, comme officier de liaison avec les services français, avec le grade de capitaine. Sur place, il demeure à Passy au domicile parisien du docteur Gaston Rafinesque.

- Le 5 VIII 1914, au tout début de la Première Guerre mondiale, il quitte Paris pour se rendre au grand quartier général des armées, à Vitry-le-François. Il est envoyé au front aussitôt, ceci comme officier de liaison britannique attaché à l'état-major d'une armée française. Dès le 3 XI 1914, il est fait chevalier de la Légion d'honneur par le président Poincaré. Blessé le 6 I 1915, il accueille dès le 21 avril suivant le ministre anglais de la Marine, Winston Churchill, venu inspecter les troupes françaises au front. Blessé de nouveau le 12 VIII 1915, il accueille Churchill une seconde fois en France, le 5 décembre, et le suit dans tous ses déplacements en France et en Belgique, pendant un mois. En janvier 1916, il est promu au rang d'officier général d'état-major de 2e classe, en conservant toutefois son grade de capitaine. Blessé une nouvelle fois le 24 IX 1916, il accueille dès le 20 octobre le prince de Galles, venu lui aussi inspecter les troupes au front.

- Le 2 V 1917, il passe au rang d'officier d'état-major de 1ère classe, avec le grade de major. Il est aussitôt affecté au ministère de la Guerre à Paris, ceci comme officier de liaison britannique entre les deux ministères français et anglais. Ce nouveau poste le met en contact avec les plus hautes autorités politiques et militaires de France et de Grande-Bretagne : Philippe Pétain, le premier ministre britannique Lloyd George, Winston Churchill, et surtout Georges Clémenceau, le nouveau chef du gouvernement français, qu'il rencontre plusieurs fois par semaine, voire plusieurs fois par jour. Le 2 I 1918, il est promu au grade de lieutenant-colonel, puis, dès le même mois, à celui de général de brigade. Il se marie à Paris le 30 III 1918, et fait changer son nom de Spiers en Spears le 3 septembre suivant, afin de ne plus être pris pour un Allemand.

- Le 25 XI 1918, après l'armistice, il participe, aux côtés de Philippe Pétain et du haut commandement français, au défilé militaire de la victoire à Strasbourg. Quatre jours plus tard, il est invité à dîner à l'ambassade britannique à Paris, pour y être présenté au roi d'Angleterre Georges V. Le 15 VI 1919, il envoie à Londres, au ministère de la Guerre, sa lettre de démission, quittant l'armée anglaise avec le grade honorifique de général de brigade.

- Dès le 28 VI 1919, il devient le directeur de la British Corporation of Mine and Steamship Owners, en Russie. Il soutient l'intervention alliée contre les communistes russes qui ont pris le pouvoir à Saint-Pétersbourg. Il est fait commandeur de la Légion d'honneur par le président Millerand en octobre 1920, puis commandeur de l'ordre britannique du Bain en janvier 1921.

- Le 31 I 1922, sa grand-mère maternelle Lucy Aylmer, veuve d'Edward Hack depuis 1899, meurt à Paris à l'âge de 81 ans. Il assiste à l'enterrement en avril 1922, dans le cimetière de Voutenay-sur-Cure. La défunte était issue d'une famille protestante irlandaise, les Aylmer, dont le château se trouvait à Donadea en Irlande. Spears est reçu dans l'Yonne par le duc de Clermont-Tonnerre, entre les deux guerres, ceci au château d'Ancy-le-Franc.

- En octobre 1922, il est élu député de Loughborough au parlement britannique à Londres, où il siège au sein du parti Libéral avec Churchill. Il perd ensuite les élections d'octobre 1924, et rejoint alors, avec Churchill, le parti Conservateur anglais. Il échoue encore aux élections de 1927, à Bosworth, puis à celles de Carlisle, en juin 1929. Il n'est élu député conservateur de Carlisle qu'en 1931, siégeant de nouveau au parlement avec Churchill. Il est envoyé en délégation en Allemagne en 1937, puis, deux ans plus tard, à la veille de la guerre, il dirige en France une autre délégation parlementaire britannique.

- Le 10 V 1940, après des mois d'observation armée aux frontières, les Allemands attaquent à la fois la Belgique, la Hollande et le Luxembourg, avant de pénétrer en France. Spears est alors promu général d'état-major le 20 V 1940. Après la débâcle des alliés à Dunkerque, les Allemands lancent, dès le 5 juin, une offensive générale vers Rouen, Paris et Dijon. Le 11 VI 1940, Spears repart en France avec Churchill, où les deux hommes rejoignent à Briare, au château de Muguet, le général Weygand, le président du Conseil Paul Reynaud, ainsi que le maréchal Pétain et le général de Gaulle. Churchill refuse d'aider davantage ses alliés français, et les encourage à organiser une vaste guérilla contre l'envahisseur venu d'outre-Rhin. Le 13 VI 1940, à la préfecture de Tours, Churchill tente encore de convaincre le gouvernement français de continuer la lutte sans les Anglais, avant de retourner à Londres en avion. Spears, qui a servi d'interprète, reste en France, comme représentant personnel de Churchill auprès de Reynaud. Avec ce dernier, il se replie sur Bordeaux le 14 VI 1940, tandis que le général de Gaulle est envoyé en mission à Londres. Le 16 juin, de Gaulle revient à Bordeaux, avec deux propositions de Churchill : l'envoi de toute la flotte française dans les ports britanniques, et l'union politique de la France et de la Grande-Bretagne. Cette offre ayant été refusée, Spears regagne Londres dès le 17 VI 1940, accompagné du général de Gaulle. Le 22 juin, la France finit par déposer les armes, laissant l'Angleterre se battre seule contre l'Allemagne hitlérienne.    

- À Londres, Spears soutient le général de Gaulle, contre le régime de Vichy. Le 30 VIII 1940, il part avec lui pour l'Afrique, avec les forces françaises libres, pour tenter de s'emparer de Dakar. Sur place, il sert d'officier de liaison entre le général de Gaulle et le gouvernement britannique de Churchill. Après l'échec de cette expédition, il rentre à Londres avec de Gaulle, le 17 XI 1940.

- En 1941, il est envoyé par Churchill à Beyrouth, avec pour mission de libérer l'État du Levant de l'emprise des Français. Pendant quatre ans, il s'oppose fermement aux intérêts de la France au Liban et en Syrie, ce qui lui vaut l'hostilité durable du général de Gaulle. Ce dernier finit par exiger de Churchill qu'il rappelle en Angleterre son agent : le 15 XII 1944, Spears doit donc quitter Beyrouth avec son épouse pour rentrer à Londres.

- En 1945, à la fin de la guerre, il est battu aux élections législatives, et perd son mandat de député de Carlisle. Il subit ainsi le même sort que Churchill, écarté lui aussi de la scène politique britannique. Il se lance alors dans les affaires, en Afrique et ailleurs. Il espère être fait pair du Royaume en récompense des services qu'il a rendus à la Couronne, mais n'obtient en fait que le titre de baronnet, en 1953. Il reprend ensuite une activité de mémorialiste, afin d'apporter son témoignage sur les événements qu'il a vécus pendant la Deuxième Guerre mondiale.

- En 1957, il séjourne à Voutenay-sur-Cure pour la toute dernière fois : dès l'année suivante, en effet, ses cousins Rafinesque finiront par vendre le manoir familial. L'un de ses ouvrages, traduit en français, est publié en 1964 aux Presses de la Cité, par Thérèse de Saint-Phalle*. Ceci lui vaudra de passer à la télévision en France, en 1968, en tant que témoin privilégié de la guerre 1939-1945.  

x1 (Paris, consulat britannique, 30 III 1918) Mary Borden, écrivain ; ° Chicago, Etats-Unis, V 1886 (fille de William & N.) ; † Londres, 2 XII 1968 ; [x1 (Lausanne, 28 VIII 1908) George Douglas Turner, colonel, dont elle divorce le 8 I 1918 à Paris] . D'où un fils du premier lit, à savoir : Michael Spears, ° Londres, 2 III 1921.

x2 (Saint Paul's Knightsbridge, GB, 4 XII 1969) Nancy Maurice, son ancienne maîtresse ; S.P.

= Liaison 1914 (1930) ; Prelude to victory (1939) ; Assignment to catastrophe (1954) ; Témoignage sur une catastrophe (1964) [traduction de : Assignment to ... ] ; Two men who saved France (1966) ; The picnic basket (1967) ; Fulfillment of a mission (1977, posthume).

 

Pierre Le Clercq

[Max Egremont / Under two Flags]